Ils entendirent le même bruit en même temps. Ce fut Skin qui réagit le premier. Il regarda Trou-de-Pique et Magané sans dire un mot et indiqua la porte du grenier. Ils étaient à l’étage et le bruit venait très certainement du rez-de-chaussée. Un bruit sourd d’une porte qu’on ferme sans se soucier le moins du monde si le lieu est occupé ou non. De fait, la maison du notaire est abandonnée depuis au moins cinq ans. Le trio a réussi à y pénétrer après plusieurs infructueuses escapades et le voilà pris au piège.
Trou-de-Pique tourna la poignée doucement tandis que Skin appuyait fermement sur le bois patiné et poussiéreux. Magané tremblait tout en jetant de brefs coups d’œil vers l’escalier. Un faible faisceau de lumière balayait le vide noir autour de la rampe.
« Dépêche-toi, Skin, ils arrivent… » marmonna Magané en se rapprochant de Trou-de-Pique. Ils, c’était une seule et unique personne. Ils, c’était Clément, le petit-fils du vieux notaire, le gardien de la maison abandonnée.
La poignée semblait tourner dans le vide et la porte ne cédait pas. Skin grogna en appuyant plus fort de sa large épaule. Le cuir de sa veste craquait. Son haleine exhalait des relents de tabac humide. Il recula d’un pas et poussa plus fort. Il y eut un craquement et on vit s’entrouvrir l’unique issue.
Le faisceau lumineux cessa de tourner sur le plafond marbré de toiles d’araignée blanchies par la poussière.
« Il y a quelqu’un? » interrogea Clément en se raclant la gorge.
La sueur perla sur le front des trois intrus. Trou-de-Pique poussa la porte et une odeur de moisi les enveloppa presque aussitôt.
« Ça pue, Skin. On dirait que ça sent la mort » pleurnicha Magané en posant sa main tremblante sur la manche trouée du veston.
« Ferme-la et rentre là-dedans avant que je te frappe, innocent »
Skin fermait la marche. Il tira doucement la porte derrière lui alors qu’on entendait Clément monter les marches et demander de nouveau s’il y avait quelqu’un.
« Hou-houuuuuu! » murmura Trou-de-Pique en étouffant un rire. Skin lui enfonça un pouce entre les omoplates ce qui le fit taire.
Ils atteignirent, à tâtons, la première marche. Le trio montait en essayant de ne pas faire de bruit mais chaque fois qu’ils posaient le pied sur une planche, celle-ci crépitait bruyamment, menaçant de céder sous leur poids, particulièrement celui de Skin.
Ils entendirent Clément atteindre le palier, essoufflé. Il ne restait que quelques secondes avant qu’il ne découvre qu’ils avaient emprunté les marches vers le grenier.
« Dépêchons-nous, il va nous trouver bientôt… » commanda Skin en poussant les fesses de Trou-de-Pique.
Malgré tout le bruit qu’ils firent, la porte resta close derrière eux. Clément s’était tu et la lumière de la torche électrique n’éclairait plus le dessous de la porte. Mais les intrus ne s’inquiétaient pas le moins du monde de cet état de choses. Ils atteignirent le grenier, lui aussi fermé par une porte qui, à l’instar de l’autre, leur donna du fil à retordre. Skin n’attendit pas plus longtemps. Un coup d’épaule et le bois fendit sur une moitié de la porte, arrachant une partie du chambranle.
« ‘Tention » fit Trou-de-Pique, toujours aussi soucieux du bien d’autrui.
« Je te rembourserai, tête de nœuds! » s’exclama Skin en le poussant à l’intérieur.
Trou-de-Pique trébucha sur un tapis enroulé devant la porte. Il tomba et sentit une sourde douleur envelopper son coude gauche. Il voulut crier mais Skin, qui avait allumé son briquet, lui fit signe de se taire. Ils réalisèrent qu’il n’y avait plus de bruit, autre que celui de leur respiration. L’odeur de moisi était vraiment plus présente ici.
Autour d’eux régnait un capharnaüm total. Empilées sans ordre apparent, de nombreuses boîtes défoncées défiaient les lois de la gravité. Quelques meubles défraîchis reposaient de guingois parmi des chaises aux dossiers et aux pattes cassées. Comme on pouvait s’y attendre, il y avait là une jungle de fils d’araignées et le plancher était jonché de crottes de souris. Accrochés au plafond, de nombreux objets hétéroclites dessinaient des ombres inquiétantes sur les lattes nues du bois vermoulu.
« Il faut se cacher et attendre qu’il s’en aille » déclara Skin en essayant de trouver un passage derrière les boîtes. Dès qu’il toucha l’une d’elles, la colonne cartonnée menaça de s’écrouler sur eux. Magané émit un faible cri et Trou-de-Pique aida Skin à la redresser avant qu’il n’arrive malheur.
« C’est une armoire, ça? » fit Skin en pointant le briquet vers un grand meuble sur leur droite. « C’est barré, Trou-de-Pique? »
Ce dernier joua avec les poignées et les portes s’ouvrirent sans problème. « Juste deux sans trois » grommela-t-il à l’intention de Skin et Magané mais ils ignorèrent le piètre jeu de mots.
Skin éteignit son briquet et passa une tête à l’intérieur de l’antiquité. Il se cala derrière un vieux manteau de fourrure dont les poils tombèrent comme une pluie sur le plancher. Trou-de-Pique s’installa à ses côtés en éternuant bruyamment. Lorsque Magané voulut faire de même, Skin le réprimanda vertement :
« Tu ne vois pas qu’on est déjà trop serré ici, triple imbécile? Trouve-toi une autre cachette et dépêche-toi parce que l’autre va rebondir bientôt, je peux te le garantir. »
Magané se lamenta en se dandinant sur une jambe puis sur l’autre tandis que se refermait la porte de l’armoire sur les deux gars. Il entendit un rire moqueur et puis ce fut le silence complet. Le plancher craqua alors qu’il se déplaçait, cherchant un coin pour se terrer mais les amoncellements de ferraille, meubles et bibelots venus d’une autre époque croulaient dans chaque coin, ne laissant de place qu’aux souris et aux coquerelles. Il y eut un craquement, émanant de l’extérieur du grenier, cette fois-ci. Magané fut soudain pris d’une crise d’hyperventilation. Tremblant comme une vieille feuille de chêne, il sortit sa pompe et aspira un bon coup. Le bruit continuait : on montait les marches vers le grenier et Magané se trouvait en plein dans la ligne de mire d’une éventuelle torche. Il se sentit soudain comme en première année lorsque la bonne vieille Madame Sauvé-Desmarais lui avait écrasé son chewing-gum dans le front devant toute la classe. Il en avait pissé dans sa culotte. Il sentit une petite chaleur humide revenir hanter son présent et calcula le nombre de pas qu’il lui fallait pour rebrousser chemin et se cacher avec ses confrères. Il compta également le nombre de pas pour arriver à repousser la porte du grenier si elle s’ouvrait subitement. Sept. Et l’armoire, cinq. Cinq ou six? Il ne savait plus. Il recompta. Un autre craquement, plus sinistre que les autres se fit entendre. La lumière de la torche souligna la porte qui sembla se surélever. Il était là ! Il allait les trouver !
La peur prenant le dessus, il fit trois grands pas et ouvrit la porte de l’armoire. Skin et Trou-de-Pique voulurent protester mais il était trop tard. La porte du grenier s’ouvrit dans une nuée de poussière et de fils d’araignées cassés. Clément pointa la torche sur le mur d’en face, ratant de peu la porte qui se refermait sur les trois adolescents.
« Magané, si on se sort vivant de cette chiotte, je te jure que je te torture pire que Jean-Six-Canne. »
Trou-de-Pique voulut le corriger, mais ce n’était pas le bon moment. Il sentit l’odeur d’urine et ouvrit la bouche pour réprimander Magané, le plus peureux des poltrons que cette terre n’eut jamais portés. Il y eut un peu de statique éclairant l’intérieur de l’armoire. Skin sentit une pression sur ses tempes tandis que Magané eut un violent vertige. La voix de Clément se fit entendre, mais comme si elle leur parvenait du fond d’un puits ou d’une grande pièce vide.
« Je sais que vous êtes là… »
Le là tomba dans le vide total.
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L'armoire du passé
Novela JuvenilTrois adolescents entrent par effraction dans une demeure à l'abandon. L'arrivée imprévue d'un visiteur les poussent à se réfugier dans le grenier où une grande armoire leur sert de cachette. Une surprise de taille les attend lorsqu'ils en ressorten...