Après cet échange, nous reprîmes tous deux forme humaine. Thomas pris la parole.
- Il y a une tradition, lorsqu'un nouveau loup rejoint la meute, qu'il passe la première nuit avec les autres, dans la forêt. Tu penses pouvoir revenir ce soir ?
- Oui, je serais là.
- Parfait. Alors je ne vais pas te retenir plus longtemps, fit-il en m'envoyant vers la porte.
Je descendis rejoindre les autres. Benjamin n'était visiblement pas resté. Fina me fixait, les yeux pétillants d'impatience. Cette dernière était petite avec quelques rondeurs, alors que Sylia, à ses côtés, était grande et mince. Elle m'indiqua une chaise libre en face d'elles. La rousse s'avança, coudes sur la table, tout sourire.
- Alors ?
Pris de court, je dus réfléchir un instant à ce qu'elle me demandais.
- Je rejoins la meute...
- Génial ! Tu es lycéen, c'est ça ?
- Oui... Et vous ?
- Je suis aide-soignante, et Sylia est styliste.
- Vous travaillez ici ?
- Oui, toute la meute essaye de rester aux alentours de la forêt, même dans notre vie humaine. C'est plus pratique.
- Je vois... Et Benjamin et Thomas ?
- Benjamin est policier, tandis que Thomas est l'associé d'une grande entreprise de la région.
Je dus paraître impressionné, car elle ajouta :
- Pas mal hein ? Les deux frères savent ce qu'ils font ! C'est grâce à eux qu'on arrive à être si bien installés ici. Thomas a fait construire la maison et la route en secret. Et aucun humain n'irai s'aventurer si loin.
- En effet...
Même disparus depuis un siècle, la peur des loups était toujours tapie dans le cœur des hommes. J'observais l'horloge murale en bois finement sculptée, accrochée sur le mur d'en face, quand je me rendis compte de l'heure qu'il était.
- Ah, je dois rentrer. Je n'étais pas censé être dehors si longtemps.
- Oh, tu pars déjà ? demanda Fina, un peu déçue.
Son expression me fit un peu de la peine.
- Je reviens ce soir.
Son sourire réapparu instantanément.
- Oh ! Génial ! A ce soir alors !
Je les saluai et pris le chemin du retour. Je marchais le long de la route, quand je réalisai quelque chose. Thomas et Benjamin sont frères ?! L'information avait été glissée au milieu de tellement d'autres que je ne m'en rendais compte que maintenant. Je gardais cela dans un coin de ma tête, et me transforma. J'étais bien plus rapide et endurant en temps que loup.
Au crépuscule, je pénétrais à nouveau sur le territoire de la meute. Un sentiment de fierté m'envahit. La meute dont je faisais partie. Je trottinais rapidement jusqu'à la maison. Tout le monde était là, Codd également. Il évita de croiser mon regard. Je n'insistai pas.
- En route ! lança Thomas.
Les six loups avançaient à travers la broussaille en fille indienne. Devant venait Thomas, que je suivais, puis Sylia, Fina, Benjamin, et Codd fermait la marche. Nous rejoignîmes une clairière, où les herbes baignaient dans le clair de lune. Une odeur forte et épicée chatouilla mes narines. Le vent m'apportait l'odeur des pins, encore cachés derrière quelques feuillus. La terre sous mes pattes était humide, l'herbe douce. En sortant de ma contemplation, je remarquai que des groupes s'étaient formés.
Benjamin et Fina s'étaient couchés un peu plus loin, se nettoyant mutuellement, une patte du loup noir posée sur l'épaule de la rousse. Sylia était assise et observait calmement les alentours. Thomas me regardait en souriant, gueule ouverte et langue pendante. Je m'ébrouai pour tenter de chasser la légère gêne qui montait en moi. J'aurais certainement rougis si j'avais été sous forme humaine. Je cherchai Codd du regard, sans succès.
Je discutais avec l'Alpha lorsque je sentis la fatigue arriver. D'un commun accord, chaque membre de la meute se trouva un endroit où dormir. Je me calai sous un buisson et, bercé par la mélodie du vent dans les feuilles, m'endormis presque aussitôt.
Les premiers rayons du soleil me réveillèrent. J'étirai mon dos et mes pattes avant de me lever complètement. J'échangeai un regard avec Benjamin, allongé en face de moi. Fina s'était endormie avec sa tête posée sur le dos du loup noir. Son frère et la louve noire dormaient encore. Portée par la brise matinale, une odeur familière trouva son chemin jusqu'à mes narines. Je quittai la meute, la suivant. Nez tantôt en l'air, tantôt au sol, je suivis la piste, louvoyant entre les arbres, la mousse masquant le bruit de mes pas. Un clapotis atteignis mes oreilles. Droit devant, il y avait un ruisseau. La terre devenait plus humide, rendant l'odeur plus difficile à traquer. Mais cela ne fut plus nécessaire, car j'aperçus une tache de pelage roux au travers de la végétation. Je m'approchai lentement. Codd se retourna, ses yeux jaunes braqués dans les miens, immobile. Il souffla et s'éloigna. Je le suivis.
Après être retourné sur un terrain plus sec, il s'assit, sa queue s'enroulant autour de ses pattes, la tête baissée.
- Je suppose que je te dois des explications...
Je m'assis à côté de lui, attendant qu'il mette de l'ordre dans ses pensées. Il resta silencieux un long moment, examinant ses griffes.
- Quand ces gars nous sont tombés dessus, je n'ai pas supporté de te voir étalé au sol... Je n'ai pas pu me contrôler... La colère a pris le dessus. Je les ai battus et t'ai ramené chez toi. Mais je n'arrivais toujours pas à me calmer... J'avais perdu le contrôle. Le jour où... tu m'as... vu, je suis allé trop près de la ville dans ma forme de loup... J'étais distrait, je ne t'ai pas entendu arriver... Et j'ai paniqué, en pensant que tu pouvais compromettre la meute... alors, sans réfléchir, j'ai attaqué... C'était stupide ! Tu aurais pu mourir de cette morsure ! Et pourtant...
Il s'arrêta, reprenant son souffle, tremblant. Repris une certaine contenance.
- Je suppose que j'ai eu de la chance que tu aies du sang loup. La morsure, au lieu de te tuer, a déclenché ta transformation. Je n'aurais pas pu... Je suis désolé.
Il se tut.
- Je comprends.
Un glapissement échappa au rouquin.
- Mais... Tu pourrais être mort, enterré, à l'heure qu'il est ! Et tu comprends ?!
- Oui.
Il me fixa, estomaqué. Je m'approchai, enfonçant mon museau dans la fourrure du cou de mon ami. Il se figea un instant avant de se détendre et rendre mon geste. Nous restâmes ainsi un moment, partageant la chaleur l'un à l'autre, dans la fraicheur du petit matin.
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Dans l'oeil du loup
Kurt AdamTerry, un lycéen belliqueux, se voit transporté du monde des hommes au monde des loups, qu'il va apprendre à connaître. Et surtout, à y survivre.