I - Où les enfants arrivent à la campagne

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    On dit souvent que les voyages forment la jeunesse.
J'en ai connu un qui révéla deux jeunes enfants qui, laissés à eux-mêmes, sillonnèrent l'Europe pour retrouver leurs parents portés disparus. Tantôt marchant, tantôt en auto-stop, ils firent ainsi des rencontres formatrices et mûrirent plus que de raison.

Ceci ne raconte pas leur histoire.

   Charlotte et Édouard avaient toujours leurs parents, merci pour eux.
Ces mêmes parents avaient d'ailleurs décidé qu'ils enverraient leurs enfants en vacances un mois chez leurs grands-parents, à la campagne. Ça leur apprendrait un peu la vie, avaient-ils dit.
Parce qu'après tout, c'était les vacances aussi pour les parents, et qu'il n'y avait pas de raison qu'ils les passent à garder les enfants dans les pattes toute la journée. Mais ça ils ne l'avaient pas dit. En tout cas pas à haute voix.

  Nos deux enfants étaient donc montés dans le train direction "loin de la civilisation" et les parents, sur le quai, leur avaient fait des signes jusqu'à ne plus voir le train, puis ils étaient partis pour leur premier restaurant en amoureux depuis ce qui leur semblait une dizaine d'années.

  De leur côté, les enfants, très à l'aise dans leur train, profitaient du wifi pour faire des adieux déchirants sur leurs réseaux sociaux, prévenant les amis qu'ils seraient "séquestrés sans internet" pour presque un mois. Le trajet n'était pas si long et le train eut bien trop vite fait, à ce qui leur sembla, de s'arrêter le long du seul quai de la petite gare où les attendaient leurs grands-parents. Seuls descendirent nos deux citadins et une vieille dame avec son cabas et son fichu démodé, menée au bras par un jeune homme svelte arborant une mine enjouée.

En revanche, ce ne furent pas des enfants enjoués que virent descendre Grand-Père George et Grand-mère Jeanne. Ils regardèrent avec un sourire franc et des yeux rieurs les deux bambins jouer la comédie jusqu'à la voiture, se plaignant du soleil comme des nuages, des habitants comme de la gare vide, de tout ce qui pouvait avoir un point négatif en ce monde... Cela faisait longtemps qu'ils ne les avaient pas vus. Charlotte avait maintenant onze ans, de petites tresses dans ses cheveux châtains et un petit nez en trompette. Édouard, du haut de ses huit ans, posait des questions sur tout et écoutait avidement les réponses, qui entraient dans sa petite tête brune, toutes prêtes à ressortir au moment opportun. Mais en ce moment, les deux enfants étaient plus occupés à manifester leur mécontentement d'avoir été "abandonnés" par leurs parents, "séparés de tous leurs amis" et "lassés pour compte", avait même dit Édouard, qui avait découvert cette expression dans un livre et l'utilisait comme il pouvait...

Le duo râleur cependant eu vite fait de se taire quand la voiture s'engagea en cahotant dans l'allée qui menait à la propriété des grands-parents.
L'endroit avait quelque chose de noble et respectable. La grande allée bordée de platanes faisait toujours son effet, et l'arrivée dans la propriété impressionna les enfants, qui étaient trop petits lors de leur dernière venue pour se souvenir des lieux. Lorsque le manoir de famille se révéla à eux à travers les arbres, Charlotte s'écria que c'était "hyper beau et trop stylé" et Édouard demanda après un instant d'ébahissement si le "gros château" était vraiment l'endroit où tous allaient vivre durant ce mois de vacances.

Bientôt, la voiture s'arrêta en crissant sur le gravier, juste en face de la grande porte où se tenaient deux personnes, bien droites, pour les accueillir. Les grands-parents présentèrent Olga et Jacques, mariés depuis quarante ans, au service de la famille depuis trente-cinq.
Olga s'occupait de la cuisine et de la tenue de la maison, tandis que son mari, boucher de formation, l'aidait dès qu'elle en avait besoin, et d'autre part faisait le jardin et travaillait comme garde-chasse. Tous deux avaient une face avenante et la bonhomie des employés de maison dévoués, qui avaient vu grandir la famille et découvraient avec joie les enfants de l'un et la femme de l'autre, connaissaient les noms de tous les petits enfants...

   C'est dans cette ambiance que débarquèrent Charlotte et Édouard.
Un peu déboussolés, ne sachant trop où se mettre, ils se contentèrent de monter leurs valises à l'étage, tous deux s'étant vus attribuer une chambre au second. On les avait prévenus qu'on sonnerait l'heure du souper et qu'ils disposaient d'un temps libre d'ici là afin de prendre possession de leur chambre.

Dès qu'ils furent seuls dans l'escalier, Charlotte en profita :
- Bon, il a beau être trop stylé ce château, il n'a tout de même pas le Wifi. Et je n'ai pas vu la salle télé.
- Maman a dit qu'il n'y avait pas de télé et que ce serait très bien on trouvera d'autres choses à faire, rapporta très fidèlement Édouard, qui avait fait une pause sur le palier.
- Mais ils veulent que je perde toutes mes copines ou quoi ? se lamenta Charlotte, on va faire comment pour communiquer ? Envoyer des pigeons voyageurs ?

C'est sur cette sentence qui se voulait dramatique que les enfants parvinrent au deuxième étage.
Ils se trouvaient dans un long couloir qui formait un coude, bordé de part et d'autre de portes fermées. Beaucoup de portes. Où devaient-ils dormir ?

- Madame Olga a dit que je couchais dans la chambre rose, dit Charlotte d'un ton hésitant.
- Peut-être que la porte est rose ? hasarda son frère, qui paraissait perdu.
- Trop bizarre de donner des noms aux chambres...
- Bah normal, s'il y a plein de chambres, c'est plus facile que de dire par exemple: "la chambre de la troisième porte à gauche au premier étage"... enfin je trouve, remarqua très justement Édouard, qui s'avançait déjà dans le couloir.
- Mais comment on va trouver nos chambres alors ?
- Facile ! Tu n'as qu'à ouvrir les portes et regarder la couleur des murs.

Et c'est sur cette remarque très pertinente que les deux enfants commencèrent à chercher l'une une chambre rose, l'autre une chambre au chevreuil. Le deuxième ne sachant pas vraiment à quoi s'attendre...

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