A mon frère le long du fleuve, l'hiver approche. Tes mots m'ont fait grand plaisir, mais ta lettre ne dit pas quand tu vas revenir, et les jours ont passé septembre. Je t'attends.
A mon frère du côté du fleuve, ici l'hiver approche. Malgré tes souvenirs, ne reste plus longtemps loin de moi! Quand pourras-tu me revenir? Ta lettre ne le dit pas et les jours passent vite, ici, quand septembre a passé.
J'ai préparé pour toi tout ce que j'ai pu. La cousine Leslie a été très gentille (vu le peu de temps que je l'ai aidée).
Cousine Leslie aussi a laissé des enfants au pays. Quand la nuit tombe, ils lui manquent. Elle tombe tôt ici. C'est pourquoi cousine Leslie parle souvent dans les yeux des larmes, mais sourit de gaieté aussi.
La radio est tout le temps allumée. La radio chante pour passer les soucis. J'aime beaucoup certaine chanson qu'on entend ici, qui fait d'histoire, jeune fille partie loin de chez elle. J'aime le refrain qui fait :
Je suis celle qui s'en va
Je suis celle qui s'en va
Celle pour qui rien ne va
Partie loin de chez moi
Cousine Leslie m'a fait entrer au foyer dès que je suis arrivée ici. Le foyer est l'endroit où les gens comme nous (Leslie et moi, et toi quand tu arriveras) se rejoignent pour vivre à l'appui les uns des autres. Car la vie est dure ici, toute seule.
Le foyer a un chef, Issa. Au foyer, Issa fait la loi, méchant homme ! Issa n'aime pas les gens. Il n'aime et ne respecte que l'argent. Mais ça n'a pas toujours été lui.
L'époque d'avant Issa, Leslie la connait. L'époque des anciens, elle dit. Leslie m'a raconté. Avant, les enfants jouaient dans les couloirs, tout le temps. C'étaient des rires, des cris, des chants partout.
Aujourd'hui, les gens ne rient plus. Ils s'arrêtent encore quelque fois pour parler au voisin, mais tandis que leur bouche parle, leur œil guette. Issa surveille les gens qui entrent et qui sortent dans le foyer. Quand il voit une tête nouvelle, la première fois, il regarde de loin avec ses mauvais yeux. Si la nouvelle tête revient, une fois, deux fois, il réclame le loyer. « Tu paies ou tu pars » hurle-t-il à la face des gens. Personne n'ose protester. Tout le monde sait qu'Issa est armé.
Je suis celle qui s'en va
Je suis celle qui s'en va
Je suis celle qui survit
Aux coups bas de la vie
Mais ne t'inquiète pas. Quand je suis arrivée ici la première fois, Leslie m'a tout de suite amené devant Issa. Elle lui a donné l'argent d'avance pour mon loyer. Il m'a dévisagé pour me montrer qu'il allait bien se souvenir de mon visage. Moi le regard bien en face, je n'ai rien dit. Alors il a dit en comptant les billets que Leslie lui a donné : « c'est bon, elle peut rester. Mais il faudra qu'elle paie encore, tous les mois, c'est la règle si elle veut rester ». Et il s'est détourné en faisant signe de la main de dégager, pour se donner l'air d'avoir de l'importance et d'être très occupé. Mais tout le monde sait qu'Issa occupe la plus grande partie de ses journées à dormir.
Alors, pour payer le loyer, c'est six heures quand nous commençons le travail. Six heures, pour avoir fini à huit, parce que c'est l'heure à laquelle les employés de bureau arrivent. « Travail est dur, mais travaillez dur ! » dit toujours la cousine Leslie. Nous travaillons dans le quartier des grandes tours. Orgueilleuses girafes malpolies ! Parfois, je voudrais tordre le cou qu'elles tendent au-dessus des trottoirs. Nous gravissons leurs jambes, brossons, frottons, balayons la poussière dedans, enlevons leurs excréments, nous les faisons toutes propres jusqu'au lendemain. Mais elles n'ont pas de gratitude. Elles ne rendent rien toute la peine, juste assez pour payer le loyer, et des mains calleuses et des douleurs dans les reins qui empêchent de dormir.
Je suis celle qui s'en va
Je suis celle qui s'en va
Je suis celle qui sourit
Au plus fort de la nuit
C'est pourquoi aussi la radio est tout le temps allumée, et que parfois, il n'est même pas six heures que des larmes déjà coulent sur les joues de la cousine Leslie. "Tu vas saler la soupe avec tes larmes" , je lui dis alors pour la faire rire.
Alors, tu comprends, si tu ne reviens pas vite, j'oublierai à force de chagrin comment parle le fleuve. Je ne saurai plus te retrouver, ni en paroles, ni en songe. Et moi aussi je pleurerai comme la cousine Leslie.
Je suis celle qui s'en va
Je suis celle qui s'en va
Je suis celle qui oublie
D'où elle vient oui j'oublie
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Pêcheur de sable et autres histoires
PoetryContient : un vieillard s'éveille d'une longue nuit, des souvenirs très anciens lui reviennent, un jeune homme, qui gagne sa vie en draguant le Niger, adresse un message à sa sœur partie en Europe, un autre raconte sa fuite loin de son village natal...