Les larmes du passé

Chapitre 19: Tout au Bout-Du-Monde

Lorsque nous fûmes tous changés, nous embarquâmes dans une chaloupe, nous éloignant du Passeur d'Aurore. Caspian et Edmund tenaient les rames tandis qu'avec Eustache et ma sœur, nous étions assis à l'arrière de l'embarcation. Ripitchip contemplait avec admiration l'horizon blanc à la proue ; cette blancheur ne perdait rien de son mystère à mesure que nous nous en approchions. S'il s'agissait d'une terre, elle devait être bien étrange, car elle semblait aussi lisse que l'eau, et au même niveau. Lorsque finalement nous l'atteignîmes, je poussai un cri de surprise : il s'agissait de fleurs blanches, d'une mer de fleurs blanches ! Lucie mit ses mains dans l'eau et en cueillit quelques-unes.

_ Des nénuphars en fleurs ! s'exclama-t-elle en tendant ses deux bras mouillées, couverts de pétales blancs et de grandes feuilles plates.

_ Il y a encore du fond, lança Edmund en regardant par-dessus bord. Ça ne peut être de vrais nénuphars... En tout cas, pas ce que nous, nous appelons des nénuphars.

Caspian relâcha sa rame et cueillit à son tour un nénuphar. Il s'avança vers moi et passa délicatement la fleur derrière mon oreille, son regard sombre ancré au mien.

_ Magnifique, souffla-t-il.

_ C'est vrai, opina mon frère, un sourire sur les lèvres.

Mes joues s'empourprèrent alors que je leur souriais timidement. Caspian reprit machinalement sa rame, tout en me lançant un regard appuyé qui embrasa mon bas-ventre. Gênée de ressentir cela alors que mes frères et sœurs se tenaient à nos côtés, je détournai le regard, préférant contempler la splendeur des nénuphars. L'embarcation glissa de nouveau vers l'est, à travers le lac aux Nénuphars ; très vite la haute mer que nous quittions ne fut plus qu'un mince trait bleu sur l'horizon, à l'ouest. La blancheur des nénuphars, teintée d'une nuance dorée presque imperceptible, s'étendait tout autour de nous, sauf dans notre sillage, où notre passage avait écrasé les fleurs en laissant ouvert un chenal d'une eau vert foncé luisante comme du verre.

_ Comment ça s'est passé lorsqu'Aslan t'a fait redevenir un humain ? demanda Edmund à notre cousin.

_ Ce n'est pas faute d'avoir essayé mais seul, je ne pouvais pas y arriver. Alors, Il s'est dirigé vers moi, ça a été assez douloureux mais quand même agréable. Vous savez, c'est comme lorsqu'on se retire une épine du pied... Après tout, je ne le regrette pas, je pense que j'étais plus gentil en dragon qu'en garçon. Je regrette d'avoir été aussi odieux.

Nous sourîmes devant ses excuses.

_ Rassure-toi, Eustache, le taquinai-je. Tu as été un merveilleux dragon !

La douce brise marine emporta avec elle nos éclats de rire, puis je m'approchai de mon cousin et l'embrassai sur la joue. Eustache rosit légèrement, peu habitué à ce genre d'effusion.

_ Mes compagnons, nous sommes arrivés, nous informa Ripitchip.

Caspian et Edmund se retournèrent tandis que je portais mon regard à l'avant de la chaloupe. Devant nous, se tenait une muraille qui s'élevait entre le ciel et nous ; une muraille d'un gris verdâtre, tremblante et frissonnante. Lorsque les rayons du soleil l'atteignirent, nous comprîmes que la muraille était en réalité une longue, une haute vague ; une vague fixée définitivement à la même place comme on peut souvent le voir au bord d'une chute d'eau. Elle semblait faire dix mètres de haut, et le courant nous entraîna vers elle en douceur. Pas une seconde, nous pensâmes être en danger. Avec un raclement, la chaloupe s'échoua sur une plage de sable fin. Ripitchip descendit le premier et courut vers la grande vague, s'y arrêtant à quelques mètres. Caspian sauta de l'embarcation à son tour, puis m'aida à mettre pieds à terre. Pendant qu'il aidait Lucie à descendre, je me dirigeai vers la vague ; j'avais l'impression que le ciel descendait vers moi en de milliers de vagues d'un bleu très brillant. Caspian et Edmund vinrent à mes côtés, le jeune Roi posant une main sur le bas de mon dos.