Chapitre 2

204 22 7
                                    



Shinjuku

— Hello, Gorka !
Le lendemain soir, lorsqu'il quitte sa chambre après y être resté cloîtré toute la journée puisqu'il n'avait pas cours, Gorka rencontre Becky au pied de l'escalier. La main de l'Espagnol se crispe sur la rampe, mais l'Anglaise ne fait pas mine de reparler de ce qui s'est passé la veille. Elle se contente de l'avertir, d'un ton tout à fait habituel :
— Ophélia et Adam ont eu l'idée de faire des falafels. Il y en a pour un régiment, si ça te dit !
Il hoche la tête.
— Merci.

Gorka descend alors les dernières marches tandis que la jeune fille secoue ses boucles auburn.
— Bon, le devoir m'attend : j'ai des articles à écrire !
Étudiante en Science Biomédicale, Becky manie également les mots avec facilité. Elle rédige des articles d'actualité et d'analyse en freelance pour un site d'information afin de gagner de l'argent, ce qui lui permet de financer ses loisirs et les plats végétariens qu'elle commande souvent à livrer.

— Bon courage, murmure Gorka en passant à côté d'elle.
Il se sent un peu mal à l'aise, a peur qu'elle ne puisse se retenir d'embrayer sur l'étrange fuite dont elle a été témoin le jour précédent. Après tout, elle n'a pas sa langue en poche, ni son franc parler. Pourtant, Becky lui souhaite seulement un bon appétit assorti d'un clin d'œil avant de partir à l'assaut de l'escalier de son pas résolu.

Cela fait un mois que Gorka est arrivé à Tokyo pour y passer un an. Autant de temps qu'il a rencontré l'Anglaise à l'aéroport de Narita où tous les deux cherchaient le bus pour Shinjuku, chacun tentant de rassembler les laborieuses bribes de ses rudiments de japonais. Est-ce ce démarrage commun qui les a rapprochés ? C'est en tout cas avec Becky qu'il s'entend le mieux, quand bien même ceci est relatif : il ne socialise avec elle que parce qu'elle ne le laisse généralement pas se mettre à l'écart. L'Anglaise l'inclut dans les projets du petit groupe d'amis qu'elle s'est constitué dans la résidence — Ophélia, Gabriel et Blanche, les Français, ainsi qu'Adam, l'Américain. Elle insiste lorsque lui-même décline et parvient finalement à le traîner avec eux à intervalles réguliers.

Pourquoi cet acharnement à l'empêcher de se refermer sur lui-même comme il tente de s'enfermer dans sa chambre ? Gorka n'en a aucune idée, mais il s'en sent reconnaissant envers Becky même quand il lui oppose un refus. Il aime bien la jeune fille, qui pourtant l'énerve aussi — comme tout le monde, à partir d'une certaine dose, lui tape sur les nerfs. Il espère que l'Anglaise comprend qu'il l'apprécie en constatant qu'il accepte de temps en temps de la suivre alors que ce n'est pas quelque chose qu'il offre souvent.

En arrivant devant la porte de la grande pièce à vivre, Gorka entend la voix d'Adam qui résonne haut et clair en anglais et le rire un peu étouffé d'Ophélia. Il tourne la poignée, parce qu'il n'a rien mangé depuis la veille à part des bonbons qu'il gardait dans sa chambre, et que le sachet est à présent vide. 

— Bonsoir, Gorka, sourit la Française lorsqu'il pénètre dans la cuisine, où les deux autres étudiants sont encore occupés à préparer quelque chose — un dessert, sans doute.
— On a fait plein de falafels, et il n'y a pas de lactose dedans ! s'exclame Adam avec son sourire à mille watts et un air presque triomphant. Le plat est sur la table : pioche dedans autant que tu veux !
— Ah, euh, merci.
L'Espagnol est toujours étonné quand ses colocataires adaptent leurs menus pour lui depuis qu'il leur a dit être intolérant au lactose — comme ils les adaptent la plupart du temps pour Becky, qui ne mange pas de viande, de volaille ou de poisson.

— Dis-nous si tu trouves qu'on peut les améliorer, ajoute un peu timidement Ophélia, dont l'accent en anglais est aussi prononcé que le sien. C'est la première fois qu'on teste la recette, alors...
Gorka hoche vaguement la tête, puis ouvre une armoire pour prendre une assiette. Il marche ensuite jusqu'à la salle à manger, où il se rend compte que l'Américain n'a pas menti : malgré la taille démesurée du plat, celui-ci déborde presque de croquettes de pois chiches.

KintsugiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant