Chapitre 8

233 22 13
                                    

Un café, noir, serré, sans sucre.

Bu appuyé contre le rebord du balcon, dos à la rue. Une manière d'être encore un peu chez lui, en dedans, loin du bruit et des autres. Les deux heures de sommeil, pénibles, qu'il a réussi à glaner, ne lui sont d'aucun secours, mais son corps, habitué à être malmené par ce rythme effréné qu'il s'impose depuis quelques mois fonctionne à présent tout seul, comme un automate.

Ses gestes aussi sont des habitudes qui lui font gagner un temps précieux. Passer la tasse sous l'eau. La mettre sur l'égouttoir. Se laver les mains. Se brosser les dents. Prendre ses lunettes sur le bord de la table basse. Mettre ses chaussures. Sortir.

Hajime marche à pas rapides vers la gare de Shinjuku, grouillante de monde à n'importe quelle heure du jour et de la nuit, puis part s'asseoir sur un des bancs le long du quai. Il attrape son téléphone pour vérifier l'heure et pousse un soupir soulagé.

Je devrais être à l'heure.

Il fouille dans sa poche pour prendre son portefeuille et l'ouvre, avant d'avoir un petit sourire. Cette nuit a été une bonne nuit, comme l'attestent la dizaine de billets de 10 000 yens, pour certains froissés presque jusqu'à la déchirure, qui garnissent ses poches.

Hajime se lève lorsque le métro arrive et est bientôt happé par la masse qui s'engouffre dans les wagons. Il se retrouve comprimé au milieu de la rame, désespérément accroché du bout des doigts à l'une des barres en métal pour ne pas chuter.

Il descend vingt minutes plus tard à la gare de Nishi-Nippori, à moins de cinq minutes de la maison familiale, et ses souvenirs l'accompagnent. Le quartier est pauvre, mais sa mémoire riche, et si Okinawa lui manque souvent, c'est ici qu'il a grandi, malgré tout.

Il pousse le petit portail d'une maison et sonne à la porte. Aussitôt, des pas résonnent sur le plancher, suivis par un cri. Mais déjà, la porte s'ouvre, et Hajime manque de tomber en arrière quand il reçoit une bombe lancée à pleine vitesse dans la poitrine.

— Atsushi ! Je t'ai dit cent fois de ne pas ouvrir la porte sans moi !
— Mais maman ! On est samedi matin ! Ça ne peut être que Hajime.
Sa mère arrive, et comme toujours Hajime la scrute. Elle paraît peut-être un peu moins fatiguée que la dernière fois, mais il sait d'expérience que le maquillage cache bien les cernes et les bleus.

— Écoute ta mère parfois, petite teigne !
Il repose Atsushi au sol, se déchausse et entre dans la maison pour embrasser Sayaka. De la petite cuisine, il sent le repas de midi, du tonkatsu, le plat préféré de Mamoru.
— Keisuke n'est pas là ?
— Non, il a pas mal de boulot au garage et il n'a pas pu se libérer.

— Hajime !
— Mais oui, je ne t'ai pas oublié, toi !
Il ouvre son sac et tend des bonbons à son petit frère, qui s'empare du sachet avant de foncer vers la pièce de vie pour se piquer devant la télévision — un vieux modèle que Keisuke a bricolé.— Vous n'avez pas encore acheté de nouvelle télé ?
— Non, pas encore. 

Sa mère est retournée dans la cuisine, et Hajime la suit.
— Je vous avais pourtant apporté de l'argent pour ça la semaine dernière. Depuis le temps qu'Atsushi réclame.
Sayaka suspend ses gestes.
— On l'a utilisé pour autre chose. La voiture de Mamoru est tombée en panne. Et puis, on en met de côté aussi.
— Bah, je sais ce qu'il me reste à faire, alors.
— Hajime.

Au ton qu'elle emploie, il sent qu'il va sans doute avoir droit à un petit discours en règle.
— C'est très gentil, ce que tu fais. Mais garde aussi un peu d'argent pour toi.
— J'ai bien assez, Maman.
— Tu es sûr ?
— Mais oui.

Il sait bien qu'elle a des questions et qu'elle ne le croit pas quand il affirme avoir plusieurs petits boulots ; après tout, quel genre de travail permettrait d'aligner les billets sans sourciller ? Mais il ne veut pas l'inquiéter et se tait, dans une décision sans doute égoïste de la préserver de la réalité.

KintsugiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant