Waraizome

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(笑い初め, « premier rire de l'année »)


16 décembre

Hajime referme ses doigts autour de la tasse de chocolat chaud posée devant lui et observe un instant Gorka, qui garde les yeux baissés, tapotant machinalement sur la table tandis qu'un chat du cat café se frotte à sa jambe. Hajime sourit, même si son ami ne le voit pas, puis lance, d'une voix toujours chantante :
— Dis-moi, tu rentres en Espagne pour le Nouvel An ?
Gorka répond sans lever la tête.
— Non.
— Oh, d'accord.

Hajime marque une pause, soulève sa tasse pour boire une gorgée de chocolat, puis la repose avant d'en dessiner le contour du bout de l'index.
— Et tu ne fais rien ici non plus ?
— Non.
— Parce que tu n'as pas envie, ou... ?
— Parce que je me fiche de tout ça.
— Ah.

Le Japonais ne peut masquer la légère déception qui traverse son regard, l'espace d'un instant, mais il sait aussi que laisser son ego parler revient à prendre le risque de voir Gorka lui échapper. Il faut insister parfois, ne pas avoir peur des refus, des rebuffades, des explosions de colère aussi brutales que brèves, des silences à ravaler. Mais Hajime accepte toutes ces conditions, car Gorka en vaut la peine et qu'il sait, sans pour autant être capable de tout expliquer, que l'Espagnol ne le fait pas contre lui en particulier. C'est un tout, complexe, douloureux, qui veut exprimer un malaise que des mots ne suffisent pas à faire passer.

— D'accord, je comprends bien. Mais dis-moi, ça te dirait quand même de venir le passer chez moi, avec ma famille ?
Gorka, cette fois-ci, se redresse d'un coup et dévisage Hajime, qui tente un petit sourire encourageant. Le Japonais ne sait pas à quoi s'attendre, même s'il est prêt à tout entendre. Son ami fronce les sourcils, plisse les lèvres, comme pris au dépourvu par cette question qu'il n'avait sans doute pas du tout anticipée.
— Avec ta famille ? Chez toi ?
— Oui, avec mes frères, ma mère et mon beau-père.
— Mais... mais ça ne les dérangerait pas ?
— Pas du tout ! Bien au contraire !

Hajime sourit de son grand sourire lumineux, celui qui ne cache rien de ses tourments ou de ses peines. Ce sourire-là est sincère, plein d'espoir, presque insouciant. C'est un sourire qui veut croire en l'avenir. Gorka se mordille la lèvre, baisse les yeux à nouveau, les relève, recommence, puis finit par détourner la tête.
— Je ne sais pas. Je ne peux pas te dire tout de suite.
— Je comprends, pas de problème.
Ce n'est pas un « non ».
Ce n'est pas la fin, et Hajime comprend que dans cette incertitude que Gorka vient de lui offrir, une porte s'est ouverte, même pour un temps.

— Réfléchis tranquillement à la question. Ce n'est pas trop pressé !
— Hum.
— Et si jamais tu ne veux pas finalement, ce n'est pas grave !
Gorka fronce le nez et hésite.
— Ce n'est pas... que je ne veux pas. Je ne sais pas encore, c'est tout.
— Oh.
Finalement, c'est presque un « oui ».
Hajime acquiesce, le cœur un peu battant ; il a tant envie que Gorka accepte, tant envie d'être avec lui dans le confort de son intimité, dans un monde où il est sans contrainte auprès de ceux qu'il aime.

— Bon ! Je finis mon chocolat chaud et on y va ! Et je t'invite.
— Mais...
— C'est ce qu'on avait dit la dernière fois !
Gorka capitule, alors qu'un minuscule sourire étire le coin de ses lèvres.

Les deux jeunes hommes quittent enfin le neko cafe — le même que celui dans lequel Hajime a amené l'Espagnol la première fois — et se dirigent vers la station de métro la plus proche.
— Hajime...
— Oui ?
— Tu... vas travailler, ce soir ?
Hajime soupire et passe une main nerveuse dans ses cheveux.
— Oui. Je rentre vite fait à mon appart pour aller chercher mon sac et je vais au bar ensuite.
— Ah.

Ils parlent peu de cette réalité qui leur pèse, et si Hajime s'en est un peu délesté, elle n'en reste pas moins un fardeau à porter au quotidien, quand elle s'interpose et se rappelle à eux. Mais Gorka continue d'accepter, et dans la question qu'il vient de lui poser, Hajime sait qu'il n'y a pas de jugement, juste un peu d'inquiétude. Il ne lui a pas tout dit, bien sûr, car Gorka n'a pas besoin de tout entendre, ni de devoir tout supporter avec lui. Il ne sait pas pour son père, pour cet argent qu'il exige de lui en échange de bonheur de Ryôma. Il ne sait pas non plus qu'il doit travailler plus longtemps, plus vite, plus souvent. Il y a de ces choses qui sont trop dures à dire, qui font encore plus mal lorsqu'elles sont mises en parole que lorsqu'elles sont tues.

— Je vais faire le chemin avec toi jusqu'au dortoir, si tu veux !
— Non, ça ira. Je ne voudrais pas que tu arrives en retard...
Gorka lui jette un petit regard en coin, comme pour s'assurer que Hajime ne lui en veut pas de l'abandonner et de lui interdire quelques instants de répit supplémentaires.
— D'accord, d'accord. Envoie-moi un petit message quand tu es bien rentré, alors !
— Tu sais, je ne crois pas que je risque grand-chose...
— C'est vrai, mais c'est juste que j'aime bien recevoir tes messages. Ils me font toujours plaisir.
Le sourire en coin de Hajime parle pour lui, alors que Gorka rougit légèrement en se grattant l'arrière du crâne. Il dénie d'une voix un peu outrée, qui ne fait qu'accentuer l'amusement dans le regard de son ami, et lâche finalement un grognement sourd de capitulation.
— Mais si ça t'embête..., reprend Hajime.
— Non ! Ça ne m'embête pas du tout. Je le ferai. Je t'enverrai un message.
— Je ne me moquais pas de toi, tu sais. J'aime vraiment recevoir tes messages.
Cette confession détend les traits de l'autre jeune homme, tandis qu'ils entrent tous les deux dans le métro qui vient tout juste de s'arrêter devant le quai.

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