3 partie 1

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19 :10

24 mars

Clinique de l'Alma, Paris 7e

America Roy

Après deux jours passés sous la surveillance des médecins, je commence à me sentir mieux. En effet, je remarque que les doses de calmants qu'ils m'injectent sont réduites et qu'ils passent moins régulièrement me voir. Au niveau de mon abdomen, je porte un gros pansement que l'on me change deux fois par jour. J'ai de moins en moins mal, même si je ressens souvent des picotements lorsque je suis contrainte de me lever. Cependant, je me sens atrocement seule. Je sais bien que cela ne fait que deux jours que je suis alitée mais je ne supporte pas le fait de rester enfermée dans ce bloc blanc. La nourriture est infecte et la télévision me donne mal à la tête, ce qui fait que je regarde les minutes passer sur la petite horloge blanche, en face de moi.

Pour couronner le tout, depuis que ma mère est partie hier après-midi à mon réveil, je ne l'ai pas revue. Je trouve ça assez étrange puisqu'elle m'a toujours épaulée dans tout ce que j'entreprends. De plus, elle ne m'a pas touché à propos de la transfusion qui m'a été faite avec son sang. Nous avons toujours été très proches l'une de l'autre et nous nous disons pratiquement tout... Elle aurait simplement pu venir s'enquérir de mon état dans la journée. Je ne compte plus sur sa présence dans la soirée car elle travaille de nuit aujourd'hui, elle est infirmière dans la banlieue de Paris.

Pour ce qui est de mon géniteur, il est passé en coup de vent hier soir pour m'assaillir de questions, tout comme l'a fait ma mère, et je sais très bien qu'il ne se libèrera pas de son travail pour venir. En effet, il est chef d'une entreprise locale peu connue produisant des surgelés pour les Et ats-Unis. Il est donc très souvent en déplacement et reste au bureau de très tôt le matin jusqu'à très tard le soir.

J'entends frapper à la porte je crie un « Entrez ! » de toute mes forces pour que mon visiteur puisse l'entendre à travers l'épaisseur des murs. Le médecin que j'ai entrevu hier après le départ de ma mère s'avances vers moi en souriant. Il porte une veste d'hôpital bleue et des chaussures blanches qui ressemblent à des sabots en plastiques laids.

-Bonjour mademoiselle Roy, excusez-moi de ne pas être repassé depuis hier, comme je vous l'avais dit mais... J'avais beaucoup de choses à régler avec vos parents concernant la transfusion ayant été prélevée à votre mère, me révèle-t-il après une brève hésitation.

J'en profite pour saisir la perche qu'il m'a tendue, et lui lance précipitamment :

-Vous avez donc des nouvelles de mes parents ?

Le médecin prend un air surpris et me répond avec assurance, cette fois :

-Bien sûr, j'étais avec votre mère avant même de venir vous voir ici. Elle m'a demandé si vous vous souveniez de quelques détails concernant votre agression, mais je lui ai répondu que je ne vous avais pas revue...

-Savez-vous... si elle a été occupée ou pourquoi elle n'est pas passée dans ma chambre?, lui demandai-je, étonnée

-Je vous avoue mademoiselle que je n'en ai pas la moindre idée, me réplique-t-il désolé. Je l'ai seulement vue tout à l'heure en compagnie de votre père et ils avaient l'air plutôt stressés et préoccupés.

Ses révélations m'inquiètent de plus en plus. Je ne comprends absolument pas pourquoi ils ne me donnent aucune nouvelle et ne montrent aucun signe d'empathie pour mon état. Le médecin danse d'un pied sur l'autre, visiblement mal à l'aise à cause du blanc dans notre conversation. Il reprend :

-Mise à part l'absence de vos parents, comment vous sentez-vous ?

-J'ai beaucoup moins mal au niveau de mes points de suture, qui tirent un peu quand même parfois. Je pense que je vais vraiment mieux.

-Parfait, c'est bien comme je l'avais prévu, vous récupérez très vite. Je pense que vous pourrez sortir demain matin, me réplique-t-il satisfait. Avez-vous besoin de quoi que ce soit ?

-Je pense que ça ira... Ah si ! En fait j'aurai bien besoin de mon téléphone portable, même si je ne sais pas vraiment où il a atterri, tentai-je avec espoir.

J'espère intérieurement pouvoir contacter mes parents ou voir si par hasard ils auraient essayé de m'envoyer un message.

-Je vais voir ce que je peux faire, reposez-vous bien mademoiselle Roy. A demain.

Il se retourne, faisant crisser le plastique de ses sabots sur le parquet clair de la chambre. Lorsqu'il ferme la porte, je ressens à nouveau la solitude m'envahir. Cependant, quelques minutes plus tard, la poignée menant à ma chambre s'abaisse, ce qui m'étonne puisque le personnel hospitalier frappe toujours avant de se permettre d'entrer. Un homme très grand chauve en costard noir s'avance vers moi. On dirait un garde du corps. Il est suivi par deux autres caïds qui encadrent deux êtres plus sveltes : mes parents. L'inquiétude m'envahit soudain, que peut-il bien se passer pour que mes parents se retrouvent entre ces trois inconnus baraqués ? Les cinq personnes s'avancent vers moi et se placent autour de mon lit. J'ai l'impression d'être une curiosité dans un musée que l'on examine en détails.

-Bonjour America, me lance mon père en souriant, comment te sens-tu ?

Je trouve la question un peu déplacée puisqu'il ne s'est pas vraiment intéressé à mon état depuis hier.

-Je t'avoue que je me sens comme une personne abandonnée qui s'est faite tirer dessus par un inconnu et qu'on laisse dessécher dans sa chambre blanche, lui rétorquai-je sèchement.

-Nous sommes vraiment désolés de nous être absentés, tu sais, mais nous avions beaucoup de choses importantes à régler. Nous sommes à deux doigts de coincer l'homme ayant commis ce crime, et tout ça, grâce à toi et aux détails que tu nous as donnés à propos de tes souvenirs. Merci, vraiment, me débite-t-il avec un franc sourire.

-Oh, écoutez, si le sort d'un homme inconnu et probablement dérangé vous préoccupe plus que celui de votre propre fille, tel est votre choix, criai-je presque rouge de colère. Mais si tel est le cas, je vous demande juste de me le dire, que je sache que vous n'êtes là qu'à contrecœur ou pour me soutirer de nouvelles informations.

-America, ma chérie, ne dit pas ça... Nous avons reçu d'importants appels d'éminentes personnes qui recherchent eux-aussi cet homme. Nous ne pouvons pas nous permettre de désobéir à leurs demandes qui sont d'en savoir plus, tente ma mère en me caressant la joue.

Plus la conversation avance, plus ma fureur monte. J'ai compris clairement que mon sort leur importait peu et qu'ils préféraient jouer aux détectives. Je veux simplement qu'ils l'avouent pour qu'ils s'en rendent compte.

-Tu sais maman, pas besoin d'une petite mise en scène avec trois gardes du corps pour m'amadouer sur le fait que vous vous en moquez de mon existence actuellement. Si vous préférez aller capturer le grand méchant qui rôde, je vous en prie, rien ne vous retient.

-Tout n'est pas si simple, reprend mon père. Ces trois hommes sont là pour assurer ta protection sous la demande d'une société qui souhaite rester anonyme. Nous n'avons pas choisi cela pour toi. Et puis... Il faudra qu'on discute. Nous avons des choses importantes à te dire.

Il a l'air tellement sérieux, ça ne lui ressemble pas. Je tente alors de les pousser à bout pour qu'ils crachent le morceau. Je suis bien trop énervée pour me calmer maintenant.

-C'est tellement simple et lâche de ne pas avouer à sa propre fille qu'elle ne compte pas réellement pour vous. C'est vrai, c'est bien plus important de communiquer avec des gens haut-placés que de dire la vérité à son enfant, leur lançai-je en souriant ironiquement. Les « on doit discuter » j'en ai déjà entendu pas mal dans ma vie qui n'ont jamais abouti. Alors si vous avez quelque chose de vexant à me dire, je suis toute ouïe.

Mon père sonde ma mère du regard. Celle-ci paraît inquiète mais hoche doucement le menton.

-America, nous ne sommes pas tes parents biologiques.

-

This is America.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant