Hans

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C'est l'heure de partir.

De laisser derrière moi ma vie et ma mère.

J'ai reçu il y a quelques mois l'ordre de rejoindre la Pologne. Je n'ai pas voulu y aller, d'abord. Mais j'ai vite compris qu'on ne désobéit pas aux ordres du führer. On fait ce qu'il dit, la tête haute et le regard fier. Hitler, je ne suis pas entièrement d'accord avec lui, mais je le respecte tout à fait. Il a réussi à accomplir de grandes choses, et grâce à lui, nous allons bientôt gagner la guerre. Prendre notre revanche.  Enfin retrouver notre honneur perdu en 1918.

Dans la lettre, ils m'ordonnent de rejoindre au plus vite le camp d'Auschwitz-Birkenau, en Pologne. Pas plus d'informations. Ici, en Allemagne, personne ne sait ce qu'il se passe dans ces camps. On entend parfois des rumeurs, des soupçons. Dans tous les cas, je ne devrais pas tarder à le découvrir.

J'embrasse ma mère sur le quai de la gare. Elle est la seule personne qu'il me reste. Mon père est mort sur le champ de bataille de Verdun il y a longtemps déjà. J'ai 25 ans, mais j'ai encore au fond de moi ce besoin de câliner ma mère. Je la prend dans mes bras, et je sens les larmes arriver par torrents au fond de mes yeux. Mais pas question de pleurer ici, sur le quai de la gare. Je suis un homme. Un homme respectable qui s'en va rétablir l'ordre des choses.

Ma mère sanglote au creux de mes bras. De tous petits sanglots presque inaudibles. Ah, elle est douée pour ça, maman. Pleurer en silence, encore et toujours. Ces petits sanglots ont bercé mon enfance. Je les connais par cœur. Je prend son visage entre mes doigts.

Tout va bien.

Tout ira toujours bien.

Je reviens très vite, ne t'en fais pas.

Oh, comme j'aimerais être sûr de ce que j'affirme. Car en vérité, on ne sait pas. On ne sait pas si on part pour longtemps, ou seulement quelques mois. On ne sait pas si l'on va se battre, ou simplement surveiller ces camps. On ne sait rien. Mais pourtant, on y va. On y va sans savoir, tentant tant bien que mal de cacher notre angoisse.

Je plonge mon regard dans celui de ma mère. J'y trouve de l'effroi plus que de la tristesse. Je sais pourquoi elle a peur. Elle est en train de revivre son pire cauchemar. Je le sais, ce jour où mon père est parti la hante. Et aujourd'hui, je m'en vais. Comme mon père. La même gare, pour une même guerre. Pas la même destination, mais ça revient au même.

Je ne sais pas quoi dire. J'aimerais tant lui parler, lui dire tout l'amour que je lui porte. Mais aucun son ne sort. Alors je ne dis rien. Je m'en vais sans parler. Ce silence lourd des gens qui s'en vont.

J'agrippe la poignée de la porte et grimpe à l'intérieur.  Je jette un dernier regard à cette femme qui m'a élevé et chéri. Celle qui m'a mis au monde. Celle sans qui rien ne serait arrivé. Je soutiens son regard le plus longtemps possible, mais le train s'éloigne déjà, et je finis par le perdre. J'entends encore dans ma tête résonner ses sanglots silencieux.

Je m'en vais vers la Pologne.

Je m'en vais vers Auschwitz.

La petite fille d'AuschwitzOù les histoires vivent. Découvrez maintenant