Noa

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Le coup de téléphone vient déchirer la nuit pourtant si calme et paisible de ce 12 juillet 42.

La voix tremblante, et après dix secondes d'hésitation, je me décide enfin à répondre.

Et mon monde s'écroule.

Se brise en mille morceaux.

Je n'étais pas prête à  l'entendre. Bien-sûr, je savais. On savait tous plus ou moins. On avait tous entendu des rumeurs, des bribes d'informations. Mais on ne savait pas jusqu'où allait l'horreur. Comment aurait-on pu savoir ?

Je l'ai donc appris ce matin là. Un coup de téléphone du siège de la résistance en Vercors. Pas courant. J'ai su dès son premier mot que ce coup de téléphone allait changer ma vie et ma vision sur le monde.

"Noa."

J'ai vite reconnu cette voix.  François Huet. Un grand personnage. 

"Noa, nous venons de recevoir des informations. Es-tu prête à les entendre ?"

Oh, comme j'aimerais avoir dit non, effacer toutes ces paroles affreuses qui suivent. Mais j'ai dit oui. Évidemment. J'avais, comme disait ma mère, de la graine de résistante. J'ai toujours été rebelle. Un peu trop parfois. Alors, quand la guerre a éclaté, j'ai su que le devoir m'appelait. Je devais me battre à ma façon. Et me voilà aujourd'hui, le téléphone entre les mains.

J'attends qu'il continue. Mais il marque une pause un peu trop longue, et c'est là que je comprend la gravité de la situation.

"Noa, nous avons des informations confidentielles sur le camp d'Auschwitz-Birkenau, en Pologne. En as-tu entendu parler ?"

Oui, bien-sûr. Je connais ce nom. Ce camp dont personne ne parle mais dont tout le monde connaît l'existence. 

Alors, François lâche les bombes. Il parle sans s'arrêter. Aujourd'hui, je sais ce qu'il se passe à Auschwitz. Et même dans mes pires cauchemars, je n'avais jamais imaginé une telle horreur.

Dans ce camp, il y a tellement de gens. Des personnes jugées impures par la dictature hitlérienne. Les juifs, principalement, mais aussi les tziganes, ces peuples nomades peu intégrés dans la société actuelle. Les homosexuels aussi. Ah, ça... Quand est-ce que les gens vont comprendre que l'amour n'est pas un crime ? A Auschwitz, on y entasse aussi des tas d'autres "catégories" de personnes. Les handicapés en font partie. Comme s'ils avaient choisis de l'être. En entendant tout ça, je serre les dents. Comment peut-on diviser l'espèce humaine en "races". Et pourquoi un seul homme en déciderait ?

Mais les informations qui viennent ensuite sont les pires.  Les détenus à Auschwitz ne sont même plus considérés comme humains. On les entasse dans des wagons à bestiaux, et on les traite pire que des bêtes. Chacun d'entre eux reçoit un numéro à son entrée au camp.

Et c'est cela le pire. Ces hommes, ces femmes, ces enfants. En entrant à Auschwitz, ils perdent tout. Leurs cheveux, leurs vêtements, leur nom. Ils perdent leur humanité.

Après leur arrivée, ils sont séparés en différentes catégories.  Les hommes jugés assez en forme pour travailler. Les femmes et quelques enfants pas trop faibles, pour travailler également. Puis les personnes âgées, les malades, ou les enfants trop jeunes. Dès leur arrivée au camp, les personnes de la dernière catégories sont envoyés dans les chambres à gaz.

Alors que François lâche ces mots, je laisse échapper un sanglot. Je pense à tous ces bébés, ces enfants qui n'auront aucun avenir. Dès leur arrivée, ils se dirigent vers la mort.

Les hommes, femmes, et quelques enfants restant travaillent dans des conditions inhumaines. Chaque jour, ils sont réveillés à quatre heures du matin. Ils sont alors forcés de rester en ligne dehors jusqu'au lever du soleil. A cette heure-là, même en été, il fait froid. De nombreuses personnes meurent à ce moment-là. Les conditions de vie à Auschwitz sont infâmes. Les maladies sont courantes.

Dès que les travailleurs sont jugés trop faibles pour continuer à travailler, ils sont fusillés, ou rassemblés dans les chambres à gaz. "Calmez-vous, vous allez simplement prendre une douche", leur dit-on. "Déshabillez vous, tout ira bien, il s'agit d'une simple douche."

Les larmes coulent le long de mes joues. Toutes ces personnes innocentes qui perdent la vie chaque jour. Qui meurent misérablement. Qui meurent, abattues comme des bêtes, après des jours de travail.

François ne s'arrête pas. Il a toujours plus de choses à dire.

Les allemands mènent sur les détenus des "expériences médicales". J'ai du mal à rester attentive aux paroles de François. Jamais je n'avais imaginé une telle horreur. les prisonniers deviennent des cobayes. L'hiver, par exemple, certains détenus sont attachés, allongés dans la neige, pour voir combien de temps le corps humain survit au froid. Les nazis effectuent sur eux toutes sortes d'expérimentations, ne respectant aucunes règles de la médecine actuelle. Ils les brûlent au phosphore pour voir la réaction du corps.

"Assez." Je ne veux plus rien entendre, j'ai assez entendu. Je sais que François aurait encore de nombreuses choses à dire. Mais je n'en peux plus. Je pose le téléphone, m'assois dans mon fauteuil et prend ma tête entre mes mains.

J'aimerais tant faire quelques choses pour ces pauvres gens innocents.

Mais comment ?

C'est alors qu'une idée germe dans ma tête.

Demain, je m'en irais vers la Pologne.

Je m'en irai vers Auschwitz.






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⏰ Dernière mise à jour : Aug 31, 2019 ⏰

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La petite fille d'AuschwitzOù les histoires vivent. Découvrez maintenant