Prologue

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1999

A l'orée du jour, une splendide Berline noire aux vitres teintées se gara sur le petit parking gravillonné du centre Sunny Point. Le visage ensommeillé de son interminable trajet, une jeune demoiselle blonde sortit de la luxurieuse voiture, portière ouverte par son chauffeur personnel tel une faveur rendue à une princesse. Elle n'en avait pourtant pas le titre, malgré l'immense fortune de ses parents et les caprices qu'engendrait son statut d'enfant unique, largement gâtée pourrie par des parents qui accordaient plus d'importance à leur empire financier qu'à la chair de leur chair.

On déposa ses bagages à ses pieds, deux immenses valises qui pesaient, à elles deux, le double du poids de la jeune blonde. Elle darda d'un regard critique l'étendue verte qui lui faisait face.

Quelle mouche avait bien pu piquer ses idiots de parents pour l'envoyer passer ses vacances au milieu de nulle part ? Sa mère avait beau dire et répéter, encore et encore, que cette colonie était le meilleur moyen de se lier avec d'autres familles aisées, à l'instant précis, la jeune fille avait du mal à naïvement croire ses dires alors qu'elle était entourée de chênes et buissons à perte de vue.

Il fallait dire que la Forêt Nationale de Los Padres s'étendait sur plus de sept kilomètres carrés, et que le centre commercial le plus proche de Santa Barbara se situait à près de 40 minutes de là.

Sans un regard de plus pour le chauffeur, la jeune demoiselle s'aventura en direction de l'immense chalet qui surplombait fièrement un splendide lac dans lequel se reflétait le lever du soleil. La montre à son poignet indiquait qu'il n'était même pas sept heures, mais ce genre d'endroit ne semblait jamais dormir. Les chants d'oiseaux résonnaient continuellement entre les arbres et on pouvait déjà entendre au loin les rires enfantins qui se mêlaient aux clapotis de l'eau.

Sans être comparable, le Sunny Point partageait une unique caractéristique avec les grandes villes ; la vie ne s'y arrêtait jamais. La jeune demoiselle aurait tout aussi bien pu débarquer trois heures plus tôt, elle aurait tout de même été accueillie avec chaleur par Martha Travis.

Cette dernière était une femme entre deux âges, on lui donnerait facilement la trentaine, mais pourtant, qui la connaissait bien savait pertinemment qu'elle en comptait une dizaine de plus. Du haut de ses 41 ans, Martha avait déjà bien vécu. Aux côtés de son mari, John, ils avaient toujours été présents pour ce centre. Charles Travis, le doyen de la famille qui avait construit de toute pièce la colonie Sunny Point, il y avait de cela 40 ans, était bien heureux de pouvoir compter sur sa famille et avait espoir qu'un jour John, son premier fils, reprendrait le flambeau.

Alors que les ballerines de la jeune fille foulaient les gravillons dans sa démarche déterminée, ses valises roulant à sa suite, Martha vint à sa rencontre, un immense sourire illuminant son visage constellé de taches de rousseur.

- Bienvenue au Sunny Point ! Tu dois être Atlanta Griffin, moi, c'est Martha.

La jeune demoiselle prit sur elle pour ne rien montrer de son exaspération. Il faudra qu'elle se souvienne de faire vivre la misère à ses parents, pendant le peu de temps qu'elle passerait en leur compagnie, pour les punir de la punir elle-même de la sorte. Elle avait beau avoir minutieusement scruté la brochure de cette colonie des heures durant, rien ne lui avait semblé adoucir la perspective de passer ses vacances à l'autre bout de l'Etat, loin de tous ceux qui étaient chers à son cœur. Pire encore, loin de la civilisation. Et dire qu'on osait prétendre que le Sunny Point rassemblait la jeunesse de l'élite, quelle belle connerie.

- Ravie de vous connaitre, Madame, récita-t-elle d'une voix parfaitement maîtrisée, qui ne laissait en rien apercevoir le fond de sa pensée.

- Oh, je t'en prie, appelle-moi Martha. Tu arrives tôt, dit donc ! Je vais te conduire à ton dortoir, tu pourras faire connaissance avec tes camarades de chambre !

La jeune fille voulait bien admettre que ladite Martha semblait être un ange, brillant de gentillesse et de prévenance. Elle refusa toutefois une quelconque aide pour porter ses bagages. Sa mère lui avait tout de même inculqué certaines bonnes valeurs, et il ne lui semblait pas concevable de refiler son barda à une inconnue dont le métier n'était certainement pas bagagiste.

Elles se mirent ensuite en route, passant brièvement au chalet, pour présenter la nouvelle venue à toute l'équipe, comme le voulait la tradition, ici.

La jeune Atlanta répondait par de légers sourires gênés à qui pouvait la regarder avec trop d'insistance tout en insultant intérieurement la terre entière. Il était évident qu'elle ne voulait pas être ici.

Elles traversèrent ensuite le camp, zigzaguant sur les chemins rocailleux sous les arbres au feuillage agité par la légère brise. Martha imposait inconsciemment un rythme soutenu, habituée à cet itinéraire après tous les kilomètres parcourus sur ces terres, tandis qu'Atlanta peinait à traîner ses deux valises derrière elle, songeant très sérieusement à en abandonner une en chemin.

Soudainement, une vraie tornade déboula de nulle part et leur coupa la route dans un dérapage incontrôlé qui les plongea tous dans une poussière aveuglante.

- TATA ! La nouvelle animatrice a ENLEVÉ LE CANOË DES ACTIVITÉS DE DEMAIN ! Elle a osé remplacer ça par un jeu de société avec des règles si longues à lire qu'un rouleau de papier de toilette entier ne suffirait pas à toutes les écrire ! ÇA ME DÉBECTE !

Martha sembla légèrement dépassée par les événements, mais elle se reprit rapidement et alors que la poussière retombait doucement en laissant apparaître un jeune garçon d'une quinzaine d'années, elle entreprit de faire les présentations :

- Atlanta, je te présente mon neveu, Pre...

- Moi c'est Preston Travis ! la coupa-t-il sans aucune manière.

Atlanta lui lança un regard équivoque. Quel énergumène mal élevé ! Martha ne s'en formalisa cependant pas, et les entraîna tout deux d'une main dans le dos, les encourageant implicitement à reprendre leur route.

- Tu sais, Preston, il arrive qu'on ne puisse pas toujours avoir ce qu'on veut dans la vie, commença-t-elle d'une voix docte qui prit légèrement les deux adolescents au dépourvu.

- Mais Tata, le canoë en vacances, c'est sacré ! C'est comme Bonnie et Clyde ou la moutarde et le ketchup, L'UN NE VA PAS SANS L'AUTRE.

La jeune blondinette affichait un petit sourire en coin, amusé par l'entêtement dudit Preston Travis. Elle se garda bien de lui confier que cette décision d'abolir le canoë arrangeait bien ses petites affaires. Comprenez que les chances de survie de son brushing ne seraient pas supérieures à 23%.

- Mon grand, la vie est faite de compromis, il est temps que tu t'en rendes compte.

Il envoya un regard sceptique à sa tante, l'air de lui demander si elle le prenait pour un chou. Visiblement oui, puisque Martha éclata d'un rire moqueur tout à fait adorable. Enfin, tout dépendait du point de vue ; Preston était loin de trouver cela adorable et vu son regard sournois, la colonie risquait d'en voir de toutes les couleurs dans les jours à venir.

La jeune blonde se mit à penser qu'il aurait été plus simple de lui refourguer un canoë pour qu'il se taise enfin, mais Martha ne semblait pas prête à céder à un quelconque chantage.

Ce Preston avait tout l'air d'être un sacré numéro, et Atlanta n'était pas aveugle, il fallait s'avouer que ce gars était fichtrement beau gosse. Et ça remettait absolument tout en perspective.

Sunny PointOù les histoires vivent. Découvrez maintenant