Chapitre 8. À m'asseoir sur un banc.

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« La tendresse, c'est quelques fois ne plus s'aimer, mais être heureux de se trouver à nouveau deux. C'est refaire pour quelques instants, un monde en bleu, avec le cœur au bord des yeux. » La tendresse, Daniel Guichard.

Point de vue de Romy

Les rayons du soleil prennent le dessus sur la fraîcheur et réchauffent ma peau. Je déambule dans les rues de Calfort, et profite de ma balade solitaire pour faire le point, me retrouver, me recentrer sur moi-même. Au rythme de ma progression rapide, ma besace accrochée en bandoulière rebondit sur ma cuisse et mes cheveux dansent au gré du vent capricieux.

En passant devant les vitrines du centre-ville, je jette un coup d'œil en biais en direction de mon reflet. Au risque de passer pour une narcissique, je dois avouer que j'aime m'observer dans les vitres. Je rêvasse, et me laisse à penser que ma silhouette ne m'appartient plus. Que ce que je vois, ce n'est pas moi. De quoi a-t-elle l'air ? Est-ce que le bilan que je dresse de moi-même est semblable aux premières impressions que je peux donner ? Tout ce que je remarque, c'est une coquille vide.

Aujourd'hui, j'ai l'esprit dans la brume, les pieds dans le vide et le cœur à l'ombre.

Pourtant, je refoule mes ressentis. Parce qu'écouter mes idées noires, les laisser prendre possession de moi, c'est perdre la bataille.

Alors, souriante, sans raison apparente, j'atteins la grande place. Encerclée de divers bistrots et de boutiques, elle est toujours fréquentée. Qu'il pleuve ou qu'il vente, elle vit et grouille de passants. Mes pieds foulent les pavés à vive allure, tandis que je me dirige droit vers le banc en bois qui trône au centre.

— T'es en retard, m'interpelle Gabriel sans cesser de jouer son morceau.

— Tu commences à me connaître, non ?

Cet après-midi, la fréquentation est particulièrement importante. J'imagine que c'est pour cette raison que le musicien a décidé de venir. À ses pieds, la housse de ma guitare est grande ouverte, détenant quelques malheureuses pièces, un numéro de téléphone griffonné sur un ticket de caisse, ainsi qu'un mouchoir usagé. Il faut croire que la pêche n'a pas été très fructueuse.

— T'es là depuis quelle heure ? demandé-je en dégainant un sandwich fraîchement acheté du fond de mon sac.

— Neuf heures.

Je m'installe à ses côtés et mords dans le pain pour combler mon appétit. Dans un soupir, Gabriel s'arrête de jouer et range la guitare dans son étui.

— Je sais pas ce qui me retient de retourner dans l'atelier de peintres amateurs. Ça payait super bien.

— C'est moi qui te retiens, réponds-je, la bouche pleine.

— Romy, j'ai besoin d'argent, je peux pas jouer les difficiles.

— Tout le monde a besoin de thunes.

— En l'occurrence, j'ai besoin d'une somme précise.

J'arque un sourcil et l'interroge du regard. En se penchant vers moi, il essuie la mayonnaise restante sur le coin de ma bouche à l'aide de son pouce.

— J'ai envie de rentrer à l'ENAM, l'école nationale d'arts et de musique. Les inscriptions se déroulent à travers un examen d'entrée et par-dessus le marché, l'année est très chère. Alors je crois que je vais pas avoir le choix d'accepter le premier job qui me tombera sous la main. À l'usine, ou peu importe. Je m'en tape. Il me faut de l'argent.

Alors que je constate que Gabriel louche sur mon déjeuner, je coupe mon sandwich en deux et lui tends la deuxième moitié.

— C'est pas une mauvaise idée, confirmé-je. Mais je suis convaincue que tu peux trouver un petit travail qui te plaira, dans lequel tu pourras t'épanouir.

Harmonie (SOUS CONTRAT D'ÉDITION)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant