#c'estdeplusenpluspersonneletdeep
Minuit est passé, comme toujours, mes pensées, elles, n'ont pas éteint la lumière.
Je n'ai d'autre choix de les écouter, mes songes, mes inquiétudes, mes rêves, tout ce qui remue ma tête et qui se cache derrière une immense fatigue du lever au coucher du soleil. Mais à présent que la nuit est tombée, je suis seule dans le noir il n'y a rien d'autre devant moi que le vaste vide d'un monde qui dort en espérant demain.Demain.
J'ignore encore comment appeler cette sensation étrange lorsque je prononce ce mot. Est-ce de la peur ? De l'excitation, puisque demain est une éternelle surprise ?
Mais demain est-il un cadeau pour moi, fille d'une toute nouvelle génération ? Pour moi, enfant de la technologie, enfant des écrans, de l'argent, du besoin et du désir confondus, moi, enfant d'une vie qui va à 1000 à l'heure, qui regarde les secondes passer et me mener vers une profonde incertitude, vers un trou noir, une plaie béante qui s'élargit et sur laquelle on se contente de jeter quelques bandages de mensonges bien tissés, de faux espoirs, de grandes colères.
Moi qui n'ai connu ni guerre, ni faim, ni tuerie, moi qui ignore tout, qui ne mérite rien, moi que l'on blâme pour les erreurs d'autrui, moi qui vis dans un monde qui doit survivre à cette créature au grand H si extraordinaire, si cruelle et si bonne à la fois. Moi, jetée dans un océan houleux, dévorée par la tempête du devoir, de la morale, de l'éducation, des émotions. Moi, ne manquant de rien et privée de tout, qui cherche ma place à la ramasse dans les rues grises d'une société égarée, piégée entre les mains de ses ravisseurs qui portent sur eux les symboles de la liberté, moi souillée par le nom de ma génération, noyée entre le bien, le mal et toutes les leçons que je reçois des hommes et des femmes d'avant qui me répètent qu'on est bons à rien parce que de toute façon cette planète elle est foutue, on y arrivera plus, y'a plus qu'à espérer une dernière prise de conscience, plus qu'à hurler dans les rues toute notre amertume face à cette brume dans laquelle on marche panneaux à la main sans toujours comprendre pourquoi on se plaint, mais parce qu'il faut le faire sinon qui d'autre mènera ce combat dont ils parlent tous à la télé et puis sur insta là où on pleure devant la caméra pour montrer que nous aussi on a cette sensibilité de l'humain moyen qui déplore toutes les morts à l'autre bout du globe, en s'auto-persuadant superbement que de toute façon on y peut rien c'est pas à nous de décider, petits poissons dans l'océan teinté de rouge qui nous appelle à l'aide mais pour qu'on se bouge pour arrêter ces massacres, ces injustices, faudrait d'abord qu'on y croit, qu'on croit en nous, qu'on soit honnêtes, qu'on se tourne pour brandir nos armes pour notre planète.
Mais si l'Homme doit brûler en enfer pour ce qu'il a fait sans jamais rien tenter pour tout arrêter, on sera tous jugés, sans exception, pour avoir accompli l'exploit de tuer la vie avec un grand V sans jamais rien assumer parce que la peur on en a fait une arme, notre faiblesse de la colère et on a tout brisé en mille morceaux, on s'est entredéchirés, on s'est jamais autant haïs entre frères et sœurs, on a toujours voulu dormir sur nos deux oreilles en se disant que c'était davantage la faute de l'autre plutôt que la nôtre, en comparant nos actions et en gardant notre force intérieure égoïstement étouffée derrière un rideau de fausse confiance, derrière des préoccupations puériles à notre niveau, réduits au silence, incapables d'agir, on a retiré nos ailes et nos griffes pour nous terrer sous terre, on a sucé notre héritage jusqu'à la moelle et recraché sa carcasse sur ceux qui en avaient besoin, on a été les pires, oui, les pires de ce monde, on a tout foiré et j'en suis désolée, désolée d'être née avec une telle responsabilité sur mes petites épaules, désolée que cette première inspiration était pleine de pollution d'hypocrisie et d'ignorance, désolée d'avoir mes avis un peu tranchés, un peu extrêmes, un peu violents, désolée d'être en colère, d'être pressée, désenchantée, révoltée et insatisfaite, insatisfaite de vivre dans ma traître bulle qui lorsqu'elle éclatera m'enverra dans l'espace et je ne pourrai plus recommencer comme avant quand on se disait qu'on avait le temps. Ce sera fini et tant pis, on dira que j'ai pas eu de chance, que j'aurai au moins essayé, mais que restera-t-il pour s'excuser, pour toutes nos cérémonies abjectes et nos discours doux-amers ? Rien. C'est le lot de ma vie, c'est le noir ou blanc, c'est la vie ou la mort, la rédemption ou la condamnation.
Demain, oui, demain tout ira mieux.