2-Passion commune

26 1 2
                                    

"On se connaît? demanda-t-il avec une lueur mi-amusée mi-irritée dans le regard.

-Pardon? Oh je ne vous...tu? pas vu, pardon je voulais pas te foncer dedans.

-C'est pas bien grave, et tu peux me tutoyer. Enchanté, je m'appelle...

-Johnathan, le coupai-je.

-John, John tout court. J'ai pas l'impression de t'avoir déjà vu, je pense que je m'en souviendrais. Mais comment tu connais mon prénom?

-Je t'ai vu... hum, non, c'est juste une intuition. Tu dois sûrement avoir une tête de Johnathan", prétextai-je avec un sourire.

Pendant les quelques minutes qui suivirent, j'en appris un peu plus sur le mystérieux presque-inconnu de mes rêves. Il était comme moi en études de littérature Anglaise. Son poète préféré était John Keats, de qui il pouvait réciter la plupart des œuvres avec enthousiasme. Puis il se rendit compte de la présence de mon emploi du temps dans ma main droite, et il me demanda quel cours j'avais.

"Histoire de la littérature avec Mr Edwards, je cherche la salle."

Il me proposa gentiment m'accompagner jusqu'à ma salle. Décidant que de toute façon je n'arriverais pas à m'orienter tout seul, j'acceptai son offre.

"Bah! De toute façon, j'ai cours avec Edwards aussi, alors autant que je te montre. Et puis t'as pas l'air désagréable", ajouta-t-il avec un clin d'il malicieux.

C'est ainsi que John me fit le suivre jusqu'à l'autre bout du campus, m'expliquant ou me racontant des anecdotes sur les moindres petites choses ou personnes que l'on croisait.

"Ici, c'est la cafétéria, mais je crois que tu connais déjà!"

J'acquiesçai et il me lança un de ces sourires en coin que j'aimais déjà tant. Nous arrivâmes à notre amphithéâtre seulement quelques minutes plus tard. Il ne restait presque plus de place, j'avais déjà entendu dire que ce professeur attirait même des personnes d'autres filières que la nôtre tellement il était passionnant.

"Suis-moi, je vais te présenter à mes amis"

Mon cœur n'était déjà pas loin de faillir à cause de la présence de John à mes côtés, mais à l'idée de rencontrer ses amis, de m'intégrer un peu plus dans sa vie, j'étais vraiment à deux doigts de la crise cardiaque. Je suivis Johnathan un peu plus bas dans l'amphi, jusqu'à ce qu'on atteigne une rangée vers le milieu. Je songeai qu'il fallait que j'arrête de l'appeler Johnathan, mais plutôt que je l'appelle John, même dans mes pensées. Trois personnes avaient l'air de nous attendre, et à la seconde où nous apparûmes dans leur champ de vision, ils tournèrent la tête vers nous et la première des trois prit la parole :

"Ah, tu dois être le beau et grand ténébreux aux yeux bleus dont Jo nous a parlé, on se disait justement qu'on avait hâte de te rencontrer"

-Euh, oui, je m'appelle Robin. Enchanté"

Je sentis le rouge me monter aux joues à l'écoute de cette description. John avait l'air de rougir aussi, mais cela ne m'inquiétait pas. Ce qui me dérangeait en revanche, c'était ce que dégageait cette mystérieuse amie. Elle avait l'air de se forcer à filtrer ce qu'elle ressentait, et de déjà me détester. Ses yeux lançaient des éclairs mais elle arborait un sourire éclatant qui me parut aussi faux que ses extensions de cheveux visibles à des kilomètres. Je fus coupé dans ma réflexion par John :

"Ferme-la Molly, dit-il avec la mâchoire serrée. Je l'ai pas amené pour que tu fasses ta Molly mais pour qu'il ne se retrouve pas tout seul pendant cette lecture. Sois cool.

"Mmph", fit-elle en révélant son petit côté écossais à peine perceptible dans son accent.

Nous nous assîmes, avec John entre Molly et moi, probablement pour éviter qu'elle ne m'étrangle à la première occasion.

Le cours était passionnant, Mr Edwards passait d'œuvre en oeuvre en les comparant, sans pour autant en citer les éléments habituels. Il affichait un sourire franc et sa passion se ressentait probablement de l'autre bout de l'Angleterre. Sa culture semblait infinie et je pensai qu'il devait parler bon nombre de langues. En effet il citait même des romans français, avec Voyage au bout de la nuit de Céline, mais aussi de l'art russe, allemand, italien, et même des poèmes japonais et américains. Je souris lorsqu'il nous fit une véritable performance pendant sa récitation de mon poème préféré: Invictus, de William Ernest Henley. John me vit sourire et me chuchota:

"Qu'est-ce qui te fait rire?

-J'adore ce poème, c'est tout. Et ce cours est tellement passionnant que je n'arrive pas à détacher mes yeux de ce prof.

-Ouais, c'est l'effet qu'il fait", répondit-il avec un sourire qui fit que Molly leva les yeux au ciel.

Je sentais son regard sur moi, cherchant la moindre expression du visage, le moindre petit sourire, et je sentais aussi que Molly le surveillait, comme pour voir comment John réagissait à mes propres réactions. Cependant, j'étais tellement captivé par ce cours que je me fichais de ce qu'elle pouvait bien penser.

Elle tiqua lorsque le professeur développa ses idées sur Voyage au bout de la nuit, disant que Molly avait beau être une prostituée, elle faisait un parfait mentor pour Bardamu. Cela fit rire John et ses deux autres amis qui se tournèrent vers Molly en articulant silencieusement : "tu portes bien ton nom!"

Son visage se crispa et elle marmonna quelque chose d'incompréhensible que je crus reconnaître comme étant du gaélique.

La fin du cours me parut arriver en une poignée de secondes et nous fîmes vite poussés vers la sortie par Molly, éternelle insatisfaite apparemment. John passa devant moi dans les escaliers et Molly se mit à ma hauteur pour me chuchoter d'un air menaçant :

"Je crois qu'il faudrait qu'on discute en tête à tête tous les deux".

Puis elle s'éloigna de moi et reprit son air de petite bourgeoise innocente avant de se faire engloutir par la foule environnante.

50 nuances de littératureOù les histoires vivent. Découvrez maintenant