Frédéric ouvrit les yeux. Il repoussa ses couvertures et se leva difficilement. L'esprit embrumé, il chercha ses pantoufles. Elles étaient encore parties sous le lit. Frédéric n'avait pas de chance. Frédéric était un canard jaune.
Il descendit les escaliers péniblement, et se rendit à la cuisine, où il se fit chauffer de l'eau pour le thé. Aujourd'hui, il faudrait encore se faire une place dans le tramway, et se rendre au travail. Vivement le Week-end. L'eau était chaude. Il la fit couler sur le sachet dans sa tasse, en en renversant un peu à côté. Le thé se diffusa en volutes brunes.
Si au moins Frédéric avait écouté son frère, lorsqu'il lui avait conseillé de se lancer dans le commerce de mandarines. Frédéric avait refusé catégoriquement, sous prétexte que les mandarines étaient un obstacle à la Quête du Sens de la Vie, et, pour toute réponse, son frère l'avait affligé d'un bonnet ridicule. Depuis ce jour, il ne lui avait plus jamais adressé la parole. Mais peut être était-ce par ce que son frère était immédiatement parti en Norvège, sans laisser d'adresse.
Frédéric but son thé. Il fallait qu'il se ressaisisse. Il devait se dépêcher, sinon il serait en retard. Il jeta un œil à la pendule, qui affichait 6h 45. Il aurait le temps, mais ce serait juste. Frédéric avala rapidement une tartine de pesto et alla faire sa toilette. Après avoir enfilé son costume bleu nuit, il choisit sa plus belle cravate, la noire à motif de chèvres, et l'ajusta en se regardant dans le miroir.
Ses plumes, rehaussées par le bleu du costume, paraissaient d'un jaune éclatant, tandis que son bec demeurait désespérément orange. Ses grands yeux bleus lui venaient de sa mère, une cane un peu sorcière, qui avait tenté d'exorciser tous les cochons d'Inde de Brooklyn à Indianapolis, mais qui avait renoncé lorsqu'elle s'était rendue compte qu'elle arrivait dans la région de Vancouver. Par ailleurs, l'épi de plumes qu'il avait sur le côté droit du front, était également un trait de famille ; mais du côté de son père cette fois. Son père, la grande question de sa vie. Pourquoi n'avait il jamais voulu prononcer le mot « rhubarbe » ?
Frédéric allait vraiment être en retard. Il descendit l'escalier et enfila ses chaussures, les noires, cirées. Celles qui allaient avec sa cravate. Il prit sa serviette, vérifia que tous ses documents étaient là, et sortit du 135 rue des Cyclamen, sa petite maison en banlieue, en oubliant de fermer la porte à clef.
Il se rendit compte de cet oubli alors qu'il venait de s'asseoir dans le tram, et que la machine se mettait en mouvement. Il n'était plus temps de revenir à la maison. Il était déjà en retard, et d'ailleurs, il avait validé son ticket. Il n'y avait plus qu'à espérer qu'aucun cambrioleur à pull rayé, à bonnet noir, à barbe de trois jours et à sourire sardonique ne passe par là.
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Frédéric le canard jaune
Short StoryHistoire impliquant un tramway, des mondes parallèles, et un canard.