Cerise

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Dans la rue des Cyclamen, une silhouette sortit de l'ombre. Cette personne portait un pull rayé noir et blanc, un bonnet noir, et son visage affichait un sourire sardonique. Mais ce n'était pas un cambrioleur. Elle ne portait pas de barbe de trois jours. Pour la bonne raison que c'était une femme. Les femmes, par une sorte d'ancienne charte, évitent de porter une barbe de trois jours ; ça fait mauvais genre. Par ailleurs, cette femme, en particulier, était très à cheval sur tout ce qui était anciennes chartes et ce genre de choses. Son nom était Cerise.

En passant devant le numéro 135, Cerise sentit une sorte de froid l'entourer. Elle se demanda ce que c'était, et tourna la tête de part et d'autre pour chercher la cause de cette soudaine sensation de fraîcheur. Son regard se posa sur la porte entrebâillée de la maison. « Voilà, se dit Cerise, les gens ne ferment pas leur porte, alors forcément ça fait courant d'air. Il faut tout faire soi-même dans cette vie ! » Elle se dirigea vers la porte, qui donnait directement sur le trottoir, après une petite marche. Elle posa la main sur la poignée, et elle vit sur le pas de la porte une plume jaune, quasi fluorescente.

Elle comprit immédiatement que cette plume appartenait au canard jaune qu'elle avait vu quelques minutes plus tôt se dépêcher pour monter dans le tramway. Elle sentit alors une curiosité dévorante la saisir. « Cela ne se fait pas, se dit elle, il existe certainement une ancienne charte qui interdit aux femmes avec un pull rayé noir et blanc de rentrer sans permission dans la maison d'un canard jaune. Je ferais mieux de fermer cette porte, et de partir. » Elle s'empressa de suivre cette idée, en l'adaptant quelque peu : elle entra dans la maison, après quoi elle ferma la porte et partit explorer la maison.

C'était la première fois qu'elle voyait un canard jaune. En vérité, c'était la première fois qu'elle voyait un canard. Cerise venait d'un monde parallèle, où les canards n'existaient pas. Elle connaissait leur existence grâce aux rapports de son père, un grand savant qui faisait des expériences sur les mondes parallèles. Ces rapports étaient absolument secrets, car les voyages Inter-Parallèles en étaient encore à leurs balbutiements ; mais son père avait déjà réussi à voyager dans certains mondes, dont celui-ci, et en avait parlé dans ses rapports. Cerise n'avait pas pu s'empêcher d'utiliser le « portail » de son père pour aller voir par elle même. Oui, même si Cerise refusait de se l'avouer, elle était vraiment une femme curieuse. Mais elle se justifiait en se disant qu'elle avait pris toutes les précautions nécessaires, comme se vacciner contre la rage, comme son père le préconisait dans son rapport, et que personne n'en saurait jamais rien.

Elle avait donc été, de nuit, au laboratoire de son père, et décidé de se rendre dans ce monde précis, dans le but de rencontrer les canards, et leur monde. Et maintenant, une porte ouverte sur la maison de l'un d'eux ! Comment voulez vous-qu'elle résiste ?!

Frédéric le canard jauneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant