Herbert

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Cerise avait compris qu'elle allait passer un mauvais quart d'heure en entrant dans le laboratoire par le portail, dès qu'elle avait vu son père qui l'attendait, avec sur son visage l'expression qui, par convention tacite entre eux, signifiait « Tu as peut être un imperméable bleu, mais moi je vais acheter du boudin ». Ce n'était pas bon signe. Ce qu'elle n'avait pas prévu, par contre, c'était que le canard jaune la suive, et surtout pas qu'il tombe exactement sur le moteur du portail, là où toutes ces petites choses compliquées, impliquant des atomes, un parapluie et des morceaux de pain bis, se passaient. « Aïe », pensa-t-elle. « Il va moins bien marcher, je crois. »

Frédéric s'était un peu fait mal. Cerise regardait on père, attendant l'explosion. Le père de Cerise, qui s'appelait Herbert, regardait à la fois le canard et sa fille, mais pas avec les bons yeux, ce qui le faisait loucher bizarrement.

Frédéric se releva difficilement, et regarda autour de lui, en essayant de comprendre ce qu'il lui était arrivé. Le labo était dans une panique indescriptible. Il rappelait à Frédéric les classes de sciences de son lycée, auxquelles il n'avait plus pensé depuis des années, et qui étaient toujours en désordre après le passage de ce bon vieux Monsieur Robert, le professeur préféré de Frédéric, qui enseignait la Science de la Vie de façon extrêmement ludique, en faisant jouer ses élèves aux chaises musicales avec des gobelets remplis de vers de terre. Pour Monsieur Robert, la Vie était un gobelet rempli de vers de terre. Frédéric adhérait totalement à cette conception de la Vie. Mais aujourd'hui, ses convictions étaient ébranlées ; comment diable avait il pu passer directement de la rue où il vivait à l'intérieur d'un laboratoire, sans devoir payer de taxe sur quoi que ce soit ?

Herbert continuait de regarder Cerise. Sans doute hésitait-il à crier sur sa fille en présence d'un étranger à la famille. Ou peut être ne savait-il pas trop choisir entre accueillir l'étranger ou l'étudier. Féliciter sa fille d'avoir réussi un voyage, ou l'étrangler. Graves questions. Pendant ce temps, le cerveau de Cerise fonctionnait à 100 à l'heure ; qu'allait-elle dire quand son père aurait fait son choix ? Comment s'expliquer, se défendre ?

Mais Herbert finit par l'ignorer, et seulement s'occuper de l'étranger. C'était le plus urgent.

Frédéric vit l'homme se diriger vers lui. Il avait un peu peur, parce que cette personne n'avait pas de bec. Mais peut être était-ce une tradition, après tout. La fille non plus n'en n'avait pas. L'homme lui parla :

- Comprends-tu ma langue ?

- Oui, répondit-il, étonné ; Mais vous avez un accent du Nord.

- Bon. Comment te sens tu ?

- J'aimerais vous dire que je vais bien, mais voyez vous, j'ai eu une très mauvaise journée, j'avais laissé ma porte ouverte, en revenant il y avait cette fille dans mon salon, je l'ai suivie et maintenant je tombe ici je ne sais pas trop comment, et je crois que je me suis tordu la palme. Si vous aviez un peu de thé, ce ne serait pas de refus.

L'homme le fit asseoir sur une chaise, fit chauffer de l'eau, et lui demanda :

- Comment t'appelle-t-on, là d'où tu viens ?

- Ma mère m'a prénommé Frédéric, mais certains m'ont appelé « l'autre imbécile », et même « cabane en bois », mais je n'ai pas compris pourq...

- Bienvenue, Frédéric, coupa l'homme. Je suis Herbert, et voici Cerise, ma fille. Il semble que tu vas rester parmi nous un peu plus longtemps que tu ne l'avais prévu...

Frédéric resta interdit. Il commençait à comprendre que c'est précisément sur la chose qui l'avait amené là qu'il était tombé en arrivant, et que sans cette cette machine, il ne pourrait pas rentrer chez lui. En réalité, il était plutôt content qu'il lui arrive enfin quelque chose d'intéressant dans la vie, mais ça l'ennuyait de casser quelque chose dès son arrivée chez des gens qu'il ne connaissait pas, et en plus il n'avait pas pris de vêtements de rechange.

- Désolé pour votre machine, dit-il à Herbert alors qu'il lui servait le thé.

- Ce n'est pas à toi de t'excuser, déclara Herbert en jetant un regard assassin à sa fille.

Frédéric le canard jauneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant