Chapitre 1

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Mélodie voyait tout. Absolument tout. Elle voyait les gouttes d'eau se condenser dans les nuages noirs puis descendre les centaines de mètres qui les séparaient du sol pour y venir s'écraser en une infinie répétition. Elle voyait sur le sol les atomes de carbone provenant des carburants des voitures être emportés par l'eau. L'eau s'ecrasait sur les parapluies noirs des passants en un doux clapotis, l'eau s'ecrasait sur l'enseigne du libraire, la décolorant petit à petit. Elle voyait tout cela. Mais sur elle la pluie ne s'ecrasait pas. Non, la pluie ne la touchait pas. Elle n'en avait  pas envie.
Elle entra dans la librairie. Tout là-haut, sur l'échelle de la bibliothèque, ronflait le chat du libraire. Le libraire lui même était juste réveillé par la sonnette de la porte. Les cheveux en pétards, il parla d'une voix pâteuse : "................. Hmm....... Fall....... Fin......... Fru..."
Il avait oublié qu'elle ne pouvait pas le comprendre. Elle ne comprenait personne. Et personne ne la comprenait. Elle était si étrange ! Seuls le libraire et le professeur de musique pouvaient l'accepter. L'un parce qu'il était toujours endormi, l'autre parce que la langue de la musique était la seule qu'elle comprenait. Le libraire marmona quelque chose et s'endormit, le nez dans son livre. Mélodie prit le temps de choisir un livre de partition de piano et le fit léviter pour le placer devant elle, au niveau de son visage. Elle lut les partions, les notes se transformant en une harmonieuse mélodie dans son esprit. Elle imprima les notes dans sa tête en quelques secondes puis remit le livre à sa place. Elle sortit sans faire sonner la clochette en haut de la porte puis se dirigea vers le lycée. Elle ne comprenait pas l'intérêt d'y aller puisqu'elle savait tout mais son professeur de musique, un vieil homme aux cheveux blancs et à la peau creusée de ravins, lui avait promis qu'elle pourrait se faire des amis un jour, grâce à l'école. Cela faisait 5 ans qu'elle était scolarisée et elle n'avait pas croisé le regard d'une seule personne. Elle s'en fichait. Ça lui était bien égal. Elle avait arrêté d'espérer d'être normale il y avait bien longtemps. Le fait d'avoir développé ses capacités telekinesiques l'avaient aidée à accepter la vérité. Elle pouvait tout déplacer en un battement de cil. La premiere fois qu'elle était allée en cours, en 5eme, elle avait rempli son cours de maths en un instant, en recopiant ce qui était écrit au tableau sur son cahier sans même y penser. Cela lui était très utile puisqu'elle était incapable d'écrire et de lire. C'était la troisième heure de la journée. Elle le savait car chaque heure la variation du soleil changeait, et elle calculait quelle heure il était en fonction de la lumière. Elle avait hâte de revoir son professeur de musique. Il était malade depuis plusieurs semaines et elle avait reçu une lettre avec un symbole vert, signifiant qu'elle pouvait reprendre les cours. C'était cela son language écrit : un symbole vert pour : c'est bon ! Et un symbole rouge pour dire : c'est pas bon !
Elle s'amusait à faire faire des carrés à une mouche près du plafond, lorsque le professeur l'ecrasa violemment sur le mur, y laissant une marque verte. À cet instant la sonnerie retentit dans le bâtiment et mélodie sortit de la salle pour aller manger dehors. La mouche morte vue comme au microscope l'avait dégoutée et elle ne mangea pas vraiment. Elle rejoignit son appartement dans le foyer des Camélias. Très joli nom pour désigner une maison pour malades pschychiatriques. Elle y habitait depuis ses 10 ans. Avant ça, c'était le trou noir, elle ne se souvenait pas d'une seule chose. Elle s'était réveillée un jour dans sa chambre du foyer et elle s'était levée pour aller au collège, commandée par un instinct enfoui profondément dans le trou sans fond qui lui servait de mémoire. Depuis ce jour elle ne s'était pas sentie chez elle une seule fois. Elle était toujours en trop, où la fille étrange qui ne parle pas et qui sait si bien se faire oublier.

Cinquième heure. C'était l'heure de partir au cours de musique. Elle sortit en trombe pour se cacher dans le garage à vélo du foyer et se teleporta dans les toilettes de l'école de musique. Elle savait se teleporter sur des distances assez incroyables mais il fallait qu'elle connaisse quelqu'un habitant dans cet endroit, sinon elle ne pouvait pas s'y déplacer. C'était le seul endroit mis à part la librairie où elle pouvait se teleporter. Elle sortit et s'assit dans la salle d'attente devant la porte couverte de photos d'élèves jouant du piano ou du violon. Elle se vit, jouant au plus prestigieux concert de la ville, du piano comme personne de son âge n'aurait pu en jouer. En se concentrant elle arrivait à entendre la mélodie, les notes se mêler, se croiser et former une musique merveilleuse. Elle entendit un bruit derrière la porte. Une clé que l'on tourne. La poignée bougea, elle entendit tous les mécanismes bien huilés tourner pour ouvrir la porte. Elle vit la porte s'ouvrir et se leva prête à commencer la séance de piano. Mais ce ne fut pas le vieux monsieur de d'habitude qui lui ouvrit. Un jeune homme de moins de 20 ans, devant l'embrasure de la porte lui fit signe d'entrer avec un sourire d'ange. Elle hésita. Le jeune homme avait les même yeux que le vieux monsieur. Exactement la même bienveillance et exactement la même attitude nonchalente. Elle en déduisit que c'était son fils. Il lui refit signe d'entrer, sans la juger, juste en l'encourageant du regard. Elle en était sûre maintenant, c'était le fils du vieil homme. Elle décida de lui faire confiance. Avec son ancien professeur, elle avait trouvé un moyen de communiquer par syllabe, pour les prénoms et les notes. Visiblement, il connaissait cette méthode. Il s'apellait Archibald.

La première fois qu'Archibald la vit, il fut surpris de découvrir une grande fille de 16 ans qui le regardait intensément avec de grands yeux dorés. Il s'attendait à tout sauf à ça. D'après son père, elle était jeune et très timide, assez petite et elle avait des cheveux courts. Son père lui avait donné une demi douzaine de descriptions de la jeune fille mais celle ci était la plus fréquente. Son père n'avait pas une mémoire visuelle mais orale, il devait donc ne pas bien se souvenir de la jeune fille. Son père lui avait tout raconté de la jeune fille. Elle s'apellait mélodie et elle était magique. Il ne l'avait pas pris au sérieux, mais en la voyant, il comprenait mieux cette métaphore. Les yeux dorés le fixaient et il lui proposa d'aller s'asseoir au piano. Elle n'avait aucune affaires. Elle sortit les mains de ses poches et se mit à jouer immédiatement en fermant les yeux. La musique était absolument merveilleuse. Archibald connaissait bien le piano. Son père avait été un des meilleurs pianistes de la planète, mais il était sidéré de la capacité de la jeune fille à jouer un morceau de piano aussi complexe, sans partitions et les yeux fermés. Il la regardait et plus il la regardait, plus il avait mal à la tête. Il détourna le regard. Il n'avait plus mal. Il regarda Mélodie et le mal de tête revint.
"Mais pourquoi il me regarde comme ça ?! En tout cas j'espère qu'il sera aussi gentil que son père..." Archibald sursauta. La voix continuait d'enchaîner phrases après phrases dans son esprit. Le mal de tête avait disparu. En fait, il se sentait mieux. Cela dura une dizaine de minutes et au fur et à mesure, il finit par comprendre que ce qu'il entendait étaient les pensées de Mélodie.
'' cet accord est etrange... Peut être que comme cela... Oui! C'est parfait ! ''
Il essaya de '' répondre '' à Mélodie par la pensée en se concentrant : '' alors comme ça tu es télépathe toi ? ''
Mélodie sursauta violemment, le sol trembla et  toutes les partitions de la salle s'envolèrent en plaquant Archibald au mur.
Soudain, tout se figea. Le silence se fit d'un coup. Archibald respirait à peine. Mélodie, elle, ne respirait pas.

The Silent GirlOù les histoires vivent. Découvrez maintenant