Chapitre 3

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Elle n'osait pas tendre la main vers l'interrupteur, un peu plus loin sur le mur, de peur que quelque chose ne l'agrippe.

Evangeline avait beau se dire qu'elle était ridicule, elle ne pouvait s'en empêcher. Son coeur battait violemment dans sa poitrine et elle haletait.

Pourtant, la chambre n'était pas plongée dans l'obscurité. Elle ne fermait jamais les volets et la lueur blafarde des réverbères de la ruelle filtrait au travers des rideaux, éclairant la chambre d'une lueur maladive. Une lueur étrange, orangée, qui conférait à toute chose un caractère inquiétant, hostile.

La chambre était vide. Bel et bien vide. Il n'y avait personne. Il n'y avait pas d'animal tapi dans un coin.

Elle était seule.

Evangeline inspira lentement pour se calmer, puis tendit le bras et alluma brusquement la lampe, la faisant osciller sur la table de chevet.

Face au ridicule de la situation, Evangeline laissa échapper un rire nerveux. Elle s'obligea à respirer profondément, forçant son cœur à retrouver un rythme plus raisonnable.

Elle se frotta le visage de ses mains, perdue.

Elle se sentait incapable de se rendormir mais elle se recoucha néanmoins, fermement décidée à se détendre au maximum et à oublier ses peurs nocturnes. Elle jura de ne plus jamais laisser entrer les conquêtes de Greg chez elle.

Evangeline ferma les yeux avec un léger sourire en pensant aux femmes qui défilaient au bras de Greg. Son patron semblait exclusivement attiré par les femmes trophées. Des femmes magnifiques, futiles et adorant les cadeaux coûteux. Elle s'était toujours demandé où il parvenait à trouver ses petites amies, à l'ère du féminisme...

Alors qu'elle se détendait doucement, elle sursauta.

Le bruit se fit de nouveau entendre.

Les cheveux d'Evangeline se dressèrent sur sa tête et ses bras se couvrirent de chair de poule. Elle fut prise de nausées et sa tête se mit à tourner.

Elle se leva d'un bond, pieds nus sur le carrelage glacé. Claquant des dents, elle se dirigea vers la porte de la chambre pour sortir au plus vite de la pièce. Qu'importe le ridicule, elle allait se réfugier dans une autre pièce, et elle en rirait probablement le lendemain...

Le bruit se reproduisit, amplifié, semblant provenir de juste derrière elle. Glapissant, elle se retourna d'un bond, le cœur battant à tout rompre. Elle s'attendait à se trouver face au monstre de son enfance.

Mais... Rien.

La chambre s'offrait à son regard, nue, vide et innocente.

Evangeline gémit doucement alors qu'elle eut l'impression que sa raison vacillait et s'effritait. Elle haletait, perdue.

Les larmes aux yeux, elle leva doucement la main et se gifla violemment.

Sous le coup de la douleur, elle haleta. Elle reprit le contrôle d'elle même, sans pour autant oublier la peur qui l'habitait.

Toute la situation lui semblait totalement irrationnelle.

Le halètement rauque se mua en un grognement hargneux. Un instant Evangeline cessa de respirer, sous le choc. Ce bruit venait de quelque chose de gros. Quelque chose de définitivement bien plus gros qu'un chien.

Le seul endroit où une telle créature - monstre - pouvait se trouvait était le placard.

Le placard, siège de toutes les terreurs enfantines. Placard du croquemitaine, placard du loup-garou, placard du monstre...

Le placard de la chambre semblait tellement ordinaire. C'était une porte en bois, tapissée du même papier peint démodé que le reste de la pièce. Un papier peint délicieusement désuet, à grosses fleurs aux couleurs passées.

La porte possédait une adorable poignée en porcelaine blanche, décorée d'un liserai de fleurs, rappelant le motif du papier peint.

Elle se souvenait que Ana l'avait ouvert devant elle lors de la visite juste après qu'elle ait signé les papiers d'achat. Il contenait quelques couvertures sentant le renfermé, probablement oubliées là par un des précédents occupants.

Il y avait eu un coffre en bois devant la porte, qu'elle et Ana avaient eu du mal à tirer pour dégager la porte. Puis, Evangeline avait demandé à un artisan de venir chercher le coffre pour le faire restaurer.

Pendant un fol instant, un désarroi total l'envahit et elle se demanda se qu'elle avait libéré en dégageant la porte du placard. Elle se surprit à se demander quelle sorte de monstre pouvait bien abriter un simple placard de chambre.

Se rendant compte de ses pensées, elle se secoua mentalement en se traitant d'idiote.

Respirant profondément, elle se força à examiner la porte du placard, d'un œil le plus objectif possible. Elle détermina que la porte était identique à dans son souvenir.

A ce stade de ses réflexions, elle se morigéna sèchement. Bien entendu que la porte n'avait pas changé. Les portes de placard ne changeaient pas tout seul !

Habituellement, Evangeline était quelqu'un de terre à terre, d'un naturel peu superstitieux. Mais la nuit, toute chose prenait une dimension fantastique.

Tous les bruits étaient prétexte à des fantasmes morbides, et les monstres des contes d'enfant prenaient substance.

La jeune femme inspira profondément, bien décidée à mettre un terme à ce stupide cauchemar. Si elle ne le faisait pas, elle allait devenir folle. Elle sentait déjà sa raison s'effriter face à la situation.

Elle luttait pour ne pas hurler. Evangeline tremblait comme une feuille, les paumes de ses mains étaient moites.

Résolument, Evangeline tourna le dos au placard. Elle se dirigea d'un pas raide vers la porte de la chambre, prête à saisir la poignée de la porte d'une main et à tirer le verrou de l'autre.

Quelque chose grogna derrière elle, un grognement légèrement interrogatif comme si... la "chose" voulait savoir ce qu'elle avait l'intention de faire.

Evangeline laissa échapper un rire hystérique. Comme si un grognement pouvait être interrogatif...

La jeune femme ne savait même pas comment elle pouvait tenir debout tellement ses jambes tremblaient. Elle gémit en se retournant.

Toujours rien. La chambre était vide. Désespérément normale.


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