Des sequelles aussi physiques que morales

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    Cela faisait donc environ six mois que je m'étais remise à vivre à peu près correctement. Mais je ne cessais de pleurer au moins une fois tous les soirs, si ce n'était plus. J'avais d'abord perdu mon mari, puis mon fils...à croire que le monde m'en voulait. Mais je me disais que le monde entier avait subit une telle douleur. Au moins moi, je savais que Thomas était en vie, du moins je l'espérais. Quand il étaient venus chercher Stephen, les agents de WICKED m'avaient dit qu'ils renommaient tous les nouveaux venus, soit disant pour ne pas leur évoquer trop de souvenirs et ne pas les faire souffrir davantage en entendant leur nom. Alors qu'avec un nouveau prénom, c'était comme s'ils changeaient de personnalité et ça leur évoqueraient donc moins leur passé, leurs parents, frères et sœurs, grands-parents. Je me suis donc dis que mon fils s'appelait désormais Thomas car c'est le nom qu'ils lui avaient donné. Et que si je le revoyais un jour, je devrais l'appeler par ce nom là, puisqu'il en était ainsi. Ça a été très dûr au début, mais je m'y suis faite et je trouve que ça ne lui irait peut-être pas si mal en fin de compte. Même si je n'étais pas d'avis que l'on modifie l'identité de mon fils comme ça. Ça n'aurait pas été le pire encore, il n'y aurait plus manqué qu'il leur attribue des lettres et des nombres tiens ! Ah ! Ça aurait été le comble.
    Pour en revenir à ma remise en forme, je me remettais tout juste à travailler. Je travaillais pour une association qui s'occupait de la marchandise qui nous arrivait tout droit de New York, pour ravitailler les survivants des trente kilomètres à la ronde, dont je faisais partie. Tous les produits étaient livrés et vendus dans un petit magasin qui n'avait pas trop brûlé. Quelques rénovations ont été nécessaires mais rien comparé à certains immeubles qui s'étaient complètement écroulés. Moi je m'occupais de mettre en rayon et de bien tout remettre en place quand c'était en désordre. D'ailleurs, pour le peu de personnes qui venaient par jour, je trouvais que c'était un peu trop facilement le bazar. Et parfois, je m'occupais de faire les comptes de tous les articles qui avaient été vendus.
Nous étions deux à faire ça, plus le caissier, qui passait la plupart de son temps à faire des sudokus. Il n'avait pas l'air de s'ennuyer d'ailleurs. C'était un homme grand, brun aux yeux verts, avec des petites lunettes rondes couleur or. Je me suis toujours demandé comment elles étaient restées intactes après la catastrophe. Mais je n'allais quand-même pas lui poser une telle question, si inutile. Il n'avait pas vraiment l'air de se coiffer et portait des habits style surfeur, genre maillot près du corps, short relax. Il était assez séduisant à vrai dire, avec son petit sourire dans le coin de la bouche et son regard charmeur. Parfois je l'observais et je me disais que j'aurais dû avoir honte de l'inspecter ainsi. Il s'appelait Isaac et il avait 34 ans. Or moi j'en avais 46.
    Ma seconde coéquipière se nommait Tina, elle avait 25 ans et avait connu l'enfer, elle avait d'ailleurs des cicatrices du cataclysme. Elle avaient les jambes brûlées par la chaleur qu'elle s'était prise en pleine face ainsi que deux orteils en moins et une grande cicatrice tout le long du dos. Elle m'avait racontée que ses jambes avaient été brûlé au tout début des éruptions, pendant qu'elle promenait son chien dans la rue. Lequel s'était noyé un peu plus tard dans le ras de marée. Hélas, elle n'avait rien pu faire car c'était soit lui soit son petit frère de douze ans qui allait se faire emporter à son tour. Le pire dans tout celà, c'est que lui et ses parents s' étaient ensuite faits écrasés par un immeuble qui s'était écroulé sur eux avant même qu'elle n'est eu le temps de crier garde. Elle était passée à trois mètres du carnage, n'ayant pu sauver personne à cause de la vitesse de la chute du bâtiment. En un éclair, elle s'était retrouvée orpheline, sans famille. Elle n'avait même plus son chien pour la consoler. Parfois, en me racontant son histoire, elle en venait même au fait qu'elle regrettait de ne pas avoir sauver son chien Snooky puisque de toute manière, son frère était mort vingt minutes plus tard. Je trouvais ça absurde mais quelque part je la comprenais car si j'avais su qu'ils me prendraient mon fils, j'aurais peut-être sauvé mon mari à la place. Ça peut paraître monstrueux, mais au moins je n'aurais pas tout perdu. Ma vie n'aurait pas perdue tout son sens. Souvent, je m'en voulais d'avoir fait croire à Thomas que son père avait simplement disparu lorsque nous avions été séparé par la foule en panique, alors que je savais très bien qu'il était mort, je l'avais vu de mes propres yeux. Mais Thomas était trop petit pour s'en souvenir, tant mieux quelque part, car ça l'aurait traumatisé à vie.
Sur ce, il était déjà dix neuf heures, l'heure de rentrer chez moi. Une fois arrivée à la maison, je mangeai rapidement et j'allai me coucher sans traîner. Je m'endormis après avoir pleuré une bonne demi heure. Me rappeler tant de souvenirs douloureux m'avait un peu remué le couteau dans la plaie.

WICKED isn't goodOù les histoires vivent. Découvrez maintenant