Siegfried

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    La fin des cours vint assez vite finalement. Siegfried avait fini par s'endormir, alors que devant lui Judicaelle était plus présente que jamais. Hermine devait en être très fière, elle était le meilleur élément de la classe, destinée à un avenir brillant. La seule à vrai dire à se préoccuper de cette avenir.

    Soudain Hermine se tourna vers Antioche, qui avait un peu disparu dans la lumière tamisée de fin d'été, caché derrière un pan de rideau bleuâtre, presque dissolu dans l'air ambiant. Une remarque, dit-elle ? Antioche était un jeune homme très élégant en costume décontracté tout juste comme il faut, l'air tout à fait à l'aise et franc. Il avait pour tout attribut une sacoche de cuir noir à l'air mou un peu usé, posée à plat et fermée sur son bureau. La chaise voisine était vide, et il y avait déposé sa paire de chaussures également de cuir mais marron cette fois, qui avait dû le gêner d'une manière ou d'une autre auparavant.

    L'instant de la séance portait à l'expression de l'action dans sa globalité de différentes manières, et en l'occurrence sur les langues. La remarque d'Antioche fut donc fort simple -car elle fut bel et bien.

-"Comment on dit faire ?"

    Cela ne faisait pas parti du déroulement normal du cour et Mademoiselle Hermine sembla soudain rentrer en elle-même, comme si elle avait abandonné d'un coup son rôle de professeure pour n'être plus qu'un esprit libre et mouvant comme un électron, lâché dans les airs, avant de répéter pour elle-même "comment on diffère... comment on différe...". Après une minute ou deux de silence pesant, elle releva la tête et regarda ses élèves intrigués. Siegfried s'était réveillé entre temps.

    Hermine se sentait fatiguée tout d'un coup. D'un geste de la main elle congédia ses élèves. Siegfried se tourna vers Benjamin. Il avait l'air de s'ennuyer royalement, et d'avoir à accomplir une corvée particulièrement lourde et inintéressante, mais lui demanda tout de même de le suivre. Ainsi ils marchèrent en silence jusqu'au bâtiment principal.

    En haut de l'escalier était un grand et lourd rideau rouge sang, dont Siegfried ne sembla pourtant pas se préoccuper. Ils passèrent tout deux au-travers de l'épaisse soirie et se dirigèrent aussitôt vers les étages supérieurs, où devaient loger les étudiants les moins avancés. Siegfried le mena à une porte, grommela un ou deux mots indistincts parmi desquels le rêveur imaginatif peut reconnaître "chambre", et s'en alla sans mots dire. Benjamin entra.

    Dans la lumière mirifique baignant la pièce, entre ces murs capitonnés, se trouvait un tableau, sûrement une reproduction de Miro, deux lits, une armoire et,étendu au centre sur un tapis kaleidoscopique (un Kupka peut-être cette fois), Antioche qui semblait s'assoupir, toujours en chaussettes, sa sacoche à la main qui s'était ouverte et laissait se répandre au sol une foule de papiers griffonés, esquissés, de mots de différentes langues françaises, allemandes ou musicales.

    A l'entrée de son compagnon nouveau il leva son beau visage et sourit. Le premier être sûrement à sembler faire un tel geste dans cet établissement. Antioche lui demanda :

-"A cet instant de l'histoire, n'es-tu pas sensé te trouver au jardin en compagnie d'Hannah ?

    Benjamin fronça les sourcils.

-"Si, mais j'ai horreur qu'on me dicte ce que je dois faire. Nous vivons un temps paradoxal (ou plutôt sa fin, à moins qu'il soit paradoxal parce que c'en est la fin), alors tant pis."

    Antioche semble satisfait de la réponse et se releva. Il paraît que tu es musicien, demanda-t-il. Benjamin répondit que oui. Fort bien, c'était déjà la chambre d'un musicien avant ton arrivée. Ah, et où est-il maintenant ?

-"Oh, maintenant, il est mort."

Benjamin BenjamantOù les histoires vivent. Découvrez maintenant