Benjamin s'était établi dans sa chambre. Il avait organisé son univers, rempli sa bibliothèque, déposé son journal sur sa table de nuit et la fantaisie chromatique de Bach sur le clavecin. Puis, il avait été pris d'un doute profond sur ce qu'il devait faire désormais, debout, sans but, au milieu de cette pièce où Antioche s'était endormi, et n'avait esquissé le moindre mouvement. Alors que le désoeuvré s'apprêtait à sortir modestement, traversé par un échantillon de spleen, ce dernier se releva brusquement, et se rua comme de rage vers l'instrument pour déchiffrer la partition.
-"C'est baroque ?"
-"Pas vraiment."
-"Bien. Et Royer ?"
-"Joseph Nicolas Pancrace."
La discussion s'était déroulée très vite sur un intervalle d'une dizaine de secondes. Après quoi celui des deux concernés qui nous occupe le plus se dirigea avec sa fierté habituel jusqu'au fameux clavier entonner le Vertigo du susnommé, ce qui parut avoir un effet des plus satisfaisant sur Antioche qui sourit en pensant en un for intérieur auquel nous nous permettons l'accès que la première impression était très bonne, et à la vérité celui qui fut le plus proche de l'amitié de Benjamin parmi nous tous, c'est sûrement c'est être volatile mais immuable.
Il avait en effet vu passer devant lui une bonne partie des pensionnaires disparus, à croire qu'il attirait sur eux une malédiction de curiosité maladive, ainsi Knut déjà puis Jacques Bert, qu'on appelait Jaquie pour l'embêter, et comme il était musicien ça collait bien, mais c'était un peu avant Knut déjà, doux rêveur aussi parti pour l'extérieur. Jacques n'avait pas fait trois pas qu'il était mort, pas de chance, d'habitude ils vont un peu plus loin, oh pas beaucoup hein, mais un peu quand même, et ainsi la vie leur tiens compagnie plus longtemps, et ils font le chemin ensemble, elle devait être pressée cette fois là, elle se rend pas compte je crois.
La musique était fini, c'était jeune, c'était vivant, fougueux, mais c'était fini, alors ils descendirent dîner, tout deux.
En bah courait Sardanapale, à travers le réfectoire, Antioche glissa à son nouveau colocataire qu'il valait mieux prendre garde, après tout c'était un pédéraste de vocation. La nuit tomba alors, car elle en avait assez, et, insomniaque, attendait de pouvoir se lever, tant pis si ça gênait tout le monde.
Ce soir Benjamin se saisit d'un candélabre et d'un encrier pour se pencher sur son journal, ayant trouvé un peu d'inspiration au fond de son tiroir, au fond d'un soir. Peut-être dans les étoiles, mais anti-conformiste comme il était ce serait étonnant, même si après tout il y a toujours de l'ordre chez les plus dérangés, et de la folie chez les plus ordonnés, et même l'inexorable est parfois imprévisible...
Ce soir il y avait de la brume. Un poète. Un fou. Un gigolo. Une musique. Et pourtant dehors l'orage voulait s'amonceller sur les épaules itinérantes.
VOUS LISEZ
Benjamin Benjamant
ParanormalLa vie méconnue de Benjamin Benjamant, ou le voyage au coeur d'un coeur.