14 juillet 2011, Cimetière
Maria avançait prudemment dans le funeste cimetière, son regard perdu allant dans tous les sens. Pourquoi n'avait-elle jamais eu la présence d'esprit de demander où se situait la tombe de son défunt père ? Elle se savait pas très intelligente, mais ce coup-ci, elle battait ses propres records. Elle reserra sa prise autour du coquelicot, le pressant contre son cœur tambourinant, au point d'en fragiliser la grande tige verte. De ce geste, elle essayait de se donner contenance et courage.Erine Barron, Jacques Desprez, Rose Delaise, Miriam Lestienne, Jean-Luc Perron... Maria n'en voyait pas le bout du tunnel. Les noms gravés sur les tombes qui défilaient devant elle - poussièreuses et abandonnées pour certaines, entretenues avec précautions pour les plus chanceuses - l'avaient vu depuis belle lurette, le bout du tunnel. Ne pouvait-on pas classer les tombes par ordre alphabétique ou chronologique ? Cela lui aurait bien plu... et lui aurait grandement facilité la tâche. Elle pouffa à cette sombre pensée déplacée. Maria avait l'air sotte à errer ainsi, paumée au milieu des morts. Elle était persuadée que si elle tendait l'oreille suffisamment longtemps, elle parviendrait à entendre leur ricanements mesquins.
Prise au piège, elle ne pouvait pas contacter sa mère, ne voulant guère gâcher la surprise de sa venue. Sa raison lui dictait, d'une manière trop alarmante à son goût, d'appeler sa jeune sœur afin qu'elle lui indique où était cette satanée pierre tombale. Mais Céleste n'aurait pas craché le morceau avant une éternité, lui rabachant les esgourdes qu'elle aurait dû le savoir depuis l'instant même où leur père fut enseveli six pieds sous terre. Le fait que Maria n'avait pas assisté aux funérailles était toujours sujet à discordes entre les deux jeunes femmes. La cadette n'avait jamais pardonné l'ainée de cet acte d'égoïsme, purement infantile et dénoué de sens. Ne pas affronter les faits n'était d'aucune aide, mais Maria était parvenue à faire son deuil d'une manière qui lui était propre. Que cette dernière ait déplu à Céleste fut le cadet de ses soucis, à l'époque, et à l'heure actuelle.
Si elle se voulait parfaitement honnête ; Maria souhaitait être seule. Que sa mère et sa sœur ne viennent pas la déranger dans ce moment difficile était viscérablement important à ses yeux. Elle les connaissait trop curieuses et exubérantes pour être certaine qu'elles seraient capable de débarquer et de l'espionner, impunément tapies dans l'ombre, dérangeant les âmes qui reposaient en paix de leur messes basses. Elles avaient attendu douze années que Maria parvienne à échapper à ses terribles tourments et puisse enfin se pardonner. À leur poignante déception, la future mère souhaitait que ce tête à tête tant désiré entre elle et son père reste intime à jamais. Mais cela était sans compter sur cet importun volatile. Son croassement en devenir familier fouetta l'air estivale pour la énième fois de la soirée.
La bête se trouvait sur une antique tombe d'une quelconque bonne femme décédée bien avant sa naissance. Maria tapa du pied autant d'énervement que de frustration, et se mise à vociférer à poumons déployés.
« Vas-tu me laisser tranquille, nom d'un chien ?! N'as-tu donc pas autre chose à faire que de te moquer de moi ? Comme rendre visite à tes semblables ou nourrir ta famille, par exemple ?
- Croa. »Maria recula d'un pas, abasourdie. Cette chose venait-elle de lui répondre ? Non. Impossible. Le mélange de la chaleur à ses hormones de grossesse devait la faire délirer. Elle hallucinait, pur et dur. Ce croassement n'était qu'une vulgaire coïncidence. Ou bien était-ce ce que le corbeau essayait de lui faire entendre ? Et s'il n'attendait qu'une chose ? Que la jeune et absurde femme enceinte jusqu'au yeux perde la raison et s'évanouisse de divagations, s'abandonnant échouée au sol, en offrande à cette amas de plumes ténébreuses, qui se brusquerait alors d'un élan diaboliquement calculé de fondre sur sa carcasse, venant déchiqueter par lamelles dégoulinantes de son sang chaud, et avec une délectation non dissimulée, sa fraîche et savoureuse chair - et tout ce qui s'y trouve - de son bec au bout acéré.
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Depuis Le Premier Coquelicot
Short StoryDepuis le brutal et soudain décès de son père, Maria n'avait pas mis une seule fois les pieds dans le cimetière - qui semblait la juger de fille indigne et méprisable -, où il reposait en paix depuis des années. Jusqu'à ce jour du 14 juillet 2011...