Chapitre Second

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14 juillet 2011, Tombe


Malgré la pénombre de la nuit et cet endroit qui avait le don de la frigorifier sur place, Maria trouva soudainement l'atmosphère du cimetière très chaleureuse et acceuillante ; comme s'il avait attendu sa venue avec impatience, préparant les moindres détails. Le corbeau qui l'observait avec attention, caché entre le doux feuillage du Sycomore, devait en faire partie intégrante. Maria parvint à s'assoir - non sans mal - sur l'herbe fraîchement tondue. Et dans une brève inspiration, elle parla à son père pour la première fois depuis son décès. Le cimetière se tut, laissant place à ce flot de paroles de s'étendre dans l'air.

« J'ai toujours pensé que je me mettrais à pleurer à chaudes larmes une fois installée devant ton imposante tombe. On peut dire que mamoune n'a pas lésiné sur les moyens. C'est très joli. »

Maria pouffa à cette remarque.

« C'est tellement absurde de trouver une tombe jolie. Comme si cela avait une quelconque importance. Je sais que c'est une marque de respect d'en prendre soin, mais le fait est que tu es mort, papa. Et ce n'est pas du marbre hors de prix et des bouquets de fleurs constamment changés qui y changeront quelque chose. Les morts se fichent pas mal de ça, non ? L'extérieur est beau, mais à l'intérieur, vous ne devez plus ressembler à grand chose. Les funérailles coûtent un bras à la famille du défunt, comme si la perte de ce dernier n'était pas suffisante... Mais il faut bien vous refourguer quelque part, pas vrai ? Toi qui était très respectueux des anciens n'a jamais compris pourquoi je n'aimais pas les cimetières. Mais regarde, papa, comme cela est glauque et pathétique et si... conventionnel. J'aimerais pouvoir me recueillir et te parler où que ce soit, même à l'autre bout du monde. Mais tu es emprisonné ici, et je suis contre l'incinération. Te mettre dans une urne au-dessus de la cheminée ? Très peu pour moi. Très paradoxale, je sais. Tu disais que ça faisait partie de mon charme que je me contredise tout le temps pour un oui ou pour un non. Tu disais aussi que les âmes pouvaient suivre les vivants, qu'ils étaient toujours là pour eux, veillant à leur bien-être, et je te répondais qu'à leur place, j'irai dans l'autre monde en espérant qu'il soit meilleur que celui cruel dans lequel on vit. Le Paradis existe-t-il ? J'aimerais que tu puisses me répondre, mais le fait est que je suis en train de parler à un tas d'os. »

Maria souffla en admirant la splendeur de la pierre tombale. Toutes ses futilités pour un cadavre l'avaient toujours dépassée. Mais, en cette nuit d'été, elle fut reconnaissante de la vue. Son regard s'attarda sur le coquelicot flétrissant.

« Mais où es-tu, papa ? Où étais-tu tout ce temps où nous avions besoin de toi ? Tu étais toujours là pour nous, à répondre aux moindres de nos caprices. C'est bien cela qui a fini par te tuer. Si je ne m'étais pas enivrée autant, cette soirée-là, tu ne serais jamais venu me chercher et tu n'aurais jamais eu cet accident. Je ne me suis jamais excusée auprès de toi. Mais tu sais, je ne culpalise plus, maintenant. Il fut un temps où j'espérais être morte à ta place. Hugo avait proposé de me ramener, alors qu'il était tout autant éméché que moi, voire bien plus. Alors je lui ai dit que ce n'était pas raisonnable de prendre le volant dans cet état. Comme si j'aurais pu l'en dissuader. Hugo n'était pas un jeune de dix-huit ans raisonnable, il prit donc le volant. Seul. J'avais encore toute ma tête, mais je me savais incapable de rentrer sans tomber dans les vapes au volant. Tu te rends compte ? J'aurais pu abîmer la voiture toute neuve que tu m'avais offerte. J'ai donc joué la carte de la sécurité. Quelle ironie. J'avais juste bu quelques verres de trop, papa, je t'assure. Comme tous les adolescents fêtant l'obtention de leur Bac, ce soir-là. Je me suis longtemps dit que j'aurais dû accepter la proposition d'Hugo. Je ne t'aurais pas dérangé et moi et lui auriont eu l'accident à deux. Mais qui me dit qu'un autre innocent ne serait pas mort à ta place ? J'aurais pu survivre, comme Hugo. Je ne sais pas si le destin est bien fait ou s'il se joue de nous, mais ce qui est certain, est que ce qu'il doit arriver, arrivera. Qu'est-ce que tu aurais voulu, papa ? Que l'on t'annonce ma mort ou que je sois responsable d'un accident ? Je n'étais pas responsable du tien, je le sais, à présent. Hugo l'était et il a purgé sa peine. Je le plains sincèrement de vivre avec ce poid sur la conscience pour le restant de ses jours. Moi, je suis parvenue à m'en décharger. Tu n'as pas eu le choix. Ce qu'il s'est passé est que je me suis endormie sur les marches du perron de la maison des Lepoutre et que c'est mamoune qui m'a réveillée en larmes, totalement anéantie, au petit matin. »

Depuis Le Premier CoquelicotOù les histoires vivent. Découvrez maintenant