14 juillet 2012, Tombe
Les criquets des champs avoisinants chantaient de leur doux grésillement caractéristique, se répercutant en écho avec les cris de joie des enfants jouant au loin et des gazouillements des oiseaux tapi dans les arbres... exactement comme il y avait de celà un an, jour pour jour. Quand la jeune mère foula le sol du cimetière à la tombée de la nuit, tous ces bruits parasites se turent. Tel il y avait un an.Maria n'avait plus peur de cet endroit. Elle se surpris même à y trouver du réconfort. Un doux et chaleureux réconfort ; tel le feu crépitant d'une cheminée, ou le goût onctueux et sucré d'un chocolat chaud un dimanche hivernal. La peine avait fait place à la nostalgie dans sa vie. Une nostalgie facile et légère à vivre, bercée par de bons souvenirs... libérés de toute amertume.
« Croa.
— Oh, te voilà ! Tu m'en veux si je te dis que j'ai oublié où se trouve la tombe ? » osa demander Maria d'une timide voix qui masquait tout juste son amusement.Et telle la dernière fois, le corbeau, de sa voluptueuse voltige, lui indiqua le chemin jusqu'à la tombe. Cette fois-ci, il s'installa directement sur cette dernière, sans même poser son regard sur l'imposant Sycomore qui s'était donné pour rôle de veillé sur le cimetière. Maria sourit et sortit — non sans mal — un objet de son grand sac à bandoulière marron ; un cadre fait en pierre blanche, d'une simplicité ravissante. Dans ce cadre était élégamment positionné un coquelicot séché dans les règles de l'art. La jeune mère s'accroupie prudemment et déposa le cadre sur la tombe de son défunt père, bien en évidence. Puis elle s'installa sur l'herbe — fraîche pour un mois de juillet —, tout en prêtant garde à la précieuse chose qu'elle tenait dans ses bras, s'agittant quelque peu, enfouie sous un léger drap en lin.
Le corbeau avait observé Maria calmement, mais il ne pouvait point cacher sa joie et son impatience plus longtemps. Il trépignait sur place, remuant sans cesse son amas de plumes qui brillaient sous la lumière qui émanait de la pleine Lune.
« Salut, papa. Ça fait déjà un an. Je peux enfin te présenter ta petite-fille » pépia Maria.
Elle dévoila de sous le drap le visage d'un bébé aux joues joufflues et au regard pétillant. Elle pencha son enfant vers la tombe, laissant le loisir au corbeau de l'admirer. L'oiseau avait les yeux brillants, qui reflétaient une certaine fierté paternel. La petite lui offrit un rayonnant sourire et gazouilla en tendant ses minuscules mains potelées vers lui.
« Je sais que tu dois mourrir d'envie de t'en approcher, mais je ne te le conseille pas. Elle a une force herculéenne pour un bébé de neuf mois. Et quand elle attrape quelque chose, elle ne le lâche plus. Prends garde à ton si joli plumage.
— Croa. »Maria rigola et le corbeau secoua sa tête d'amusement.
« Elle s'appelle Rose Félicia Lèztère, et elle est née le 9 octobre 2011. Oui, Rose, le prénom que tu avais voulu me donner, mais que mamoune a refusé. Elle me l'a raconté quand Joe se plaigna dramatiquement que je ne voulais pas du prénom " Hippolyte ". Mais entre " Hippolyte " et " Rose ", il y a tout un monde, franchement ! J'ai su à l'instant où j'ai appris cette histoire que, si c'était une fille, elle s'appellerait Rose. Elle était plus petite que ce que je pensais, à la naissance. Elle pesait 2kg 800 et mesurait 48 cm. C'est moi qui devait être trop grosse, je crois. Dire que je t'avais accusé, ma Rose. Tu me pardonnes, hum ? »
À l'entente de son prénom, le chérubin s'agitta dans les bras de sa mère. Maria positionna sa fille assise d'une manière confortable qui lui laissait tout le loisir d'observer le corbeau. Une fois les yeux sur lui, elle se calma et garda toujours son sourire aux lèvres.
« L'accouchement ne s'est pas très bien passé. J'ai eu une césarienne et je suis restée inconsciente deux jours... mais c'est du passé ! Je suis là, maintenant. Et je savais que tu veilliais sur moi, papa. Je pouvais le sentir. Mais Joe, lui, a eu la peur de sa vie. Nous la chérissons tellement... et il est encore plus attentionnée avec moi. Nous savons que nous ne parviendrons plus jamais à avoir d'enfant, mais nous sommes les parents les plus heureux du Monde. Joe la couve de trop et lui cède tout. J'ai peur qu'il m'en fasse une capricieuse, comme moi... Et mamoune, eh bien... c'est mamoune. Avec elle et nina et nono, Rose est pourrie gâtée. La belle affaire, je n'ai rien eu à acheter. Joe et Éric se sont occupés de sa chambre seulement un mois avant sa naissance. Tu comprends, j'avais peur que ça ne nous porte malheureux de la faire plus tôt. C'est idiot, ou peut-être pas, mais je n'aurais pas supporté d'avoir une chambre d'enfant vide. Céleste et moi nous sommes beaucoup rapprochées. C'est elle qui était là à mon réveil... et qui m'a apporté ma fille. Je n'oublierai jamais ce moment... jamais »
Maria fit une courte pause et caressa le ventre de Rose, pensive.
« Elle et mamoune ne comprennent pas pourquoi j'ai choisi la fête Nationale pour venir te voir. En fait, en toute franchise, je n'avais pas fait attention à la date, l'année dernière. Elles m'ont dit que, quitte à y aller qu'une fois par an, que ce soit pour ton anniversaire ou pour la Toussaint. Halloween n'est qu'une fête commerciale où l'on peut se permettre de se gaver de sucreries sans culpabiliser et où on excuse les enfants survoltés. Et la célébration des morts... une hypocrisie sans nom. Venir en plein jour en même temps que des gens qui font leur B.A. de l'année, histoire d'avoir bonne conscience ? Non merci. Et ton anniversaire ? Pourquoi fêter le jour de ta naissance alors que tu es mort ? Quelle ironie morbide ! Le vieux Roger et son fils Bertrand me laisseront accéder au cimetière, tous les soirs du 14 juillet, à l'abri des regards indiscrets. Parce que ces nuits-là sont magiques, je l'ai compris. Je leur serai éternellement reconnaissante d'avoir accepté cette farfelue faveur. J'en profite donc. Et puis... je voulais un nouveau rituel. Rien que toi et moi. Tu comprends, n'est-ce pas ? Il ne peut exister que les nuits du 14 juillet au 15 juillet. Toi aussi, je suis certaine que tu l'as vite compris.
— Croa.
— Je le savais. Je ne leur ai rien dit, tu sais. Ça restera à jamais nôtre secret. Ainsi que celui de Rose. »Sur ces paroles, les feux d'artifice illuminèrent le ciel d'une flamboyante beauté à faire presque pâlir la Lune de jalousie. Rose fit une comique expression de surprise et écarquilla ses grands yeux noirs, ce qui fit rire sa mère et le corbeau. Malgré l'heure tardive, la petite était dans une forme olympique, et ne tarda pas à rigoler d'une innocente mélodie en regardant le ciel. Sa mère et le corbeau la regardèrent, les yeux débordants d'un amour irréversible.
« Une petite danse, mon ange ? »
Maria se leva et dansa avec sa fille dans ses bras, sous la lueur multicolore des feux d'artifice, accompagnée par une musique d'outre-tombe. Monsieur le corbeau solitaire se joigna à elles avec entrain, et les éclats de rire et les croassament redoublèrent ; pour le plus grand plaisir des morts solitaires.
Depuis le 14 juillet 2011, le nouveau et magique rituel ne fut pas près de s'arrêter... et durerait le temps d'une vie d'oiseau, et plus encore.
FIN.
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Depuis Le Premier Coquelicot
NouvellesDepuis le brutal et soudain décès de son père, Maria n'avait pas mis une seule fois les pieds dans le cimetière - qui semblait la juger de fille indigne et méprisable -, où il reposait en paix depuis des années. Jusqu'à ce jour du 14 juillet 2011...