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  Thomas, plus souvent affublé du surnom de Tom, Julia et moi, le trio inséparable, avions prévu de nous retrouver dans les bois le trente et un octobre à dix-huit heures.  Au programme ?  Se faire peur et, bien-sûr, passer une soirée entre potes d’enfer.  La veille de notre escapade, on avait tous servi la même histoire à nos parents : nous allions tous trois à la soirée d’Halloween costumée d’Alicia, une fille de notre classe – fête à laquelle aucun d’entre nous n’avait l’intention de s’y rendre, Alicia étant une peste des plus abjects – mais qui passa sans le moindre soucis auprès de nos familles.
  Il y avait en plein milieu du bois, une rivière qui formait une cascade et, derrière la chute, se cachait une cavité plutôt spacieuse.  C’était Tom qui l’avait découverte, près de cinq ans auparavant lorsqu’on lui avait lancé le défi de rester trente secondes en-dessous du torrent.  Depuis, régulièrement, nous allions nous y retrouver. Mais c’était la première fois que nous avions prévu d’y passer la nuit.  Et quelle nuit !  Celle d’Halloween !  Du haut de mes quinze ans, je ne croyait plus à toutes ces fables mais je ne pouvais m’empêcher d’y penser quand-même.
  J'ai regardé ma montre. Dans moins d’une heure, je devais retrouver mes deux acolytes.  Mon sac était prêt mais surtout plein à craquer.  Normal, il contenait, en plus d’un gros sac de couchage et d’une lampe, une multitude de biscuits, bonbons et autres crasses pour passer la nuit.
- Alix chérie, retentit la voix de ma mère depuis le rez-de-chaussée, tu pars à quelle heure ?
  Ah, oui.  Je pense ne pas m’être déjà présentée.  Je m’appelle Alix, Alix Arena.  Entre mes lèvres vermeilles, ma certaine corpulence et mes longs cheveux bruns qui tombent en cascade sur mes épaules en cachant partiellement mes yeux bleus-océans, je suis, comme qui dirait, ni la plus belle, ni la plus moche.  Je suis née ici, à Fronville, et je ne l’ai jamais encore quitté.
  Pour en revenir à la question de mère, je lui ais répondu que je partais dans environ trois-quarts d’heure.  Elle n’a rien demandé de plus.  Elle n’a jamais été très insistante, ce qui m’arrangeait plutôt bien dans ce cas-ci.  J’ai mis une alarme pour ne pas louper l'heure de mon départ et, pour passer le temps, j’ai pris un livre que je devais lire pour l’école. En temps normal, j’aimais bien bouquiner mais, bizarrement, quand c’était pour le lycée, ça me plaisait beaucoup moins…
  Quand l’alarme a retenti, j’ai déposé le roman, j’ai attrapé mon sac, j’ai attaché un couteau suisse à ma ceinture – on est jamais trop prudent – et je suis descendue saluer mes parents.  Ensuite, j’ai mis une veste et je suis sortie. Dix-sept heure quarante-huit.  Plus que douze minutes.  La bois se tenait à deux pas de chez moi, mais notre cachette s’y trouvait assez profondément.
  Arrivée à l’entrée d’un sentier s’enfonçant au milieu des pins, je suis tombée sur Julia qui refaisait son lacet.  Elle était vêtu d’un sweat rouge, d’un sac rouge et de chaussures rouges.  Seul son jeans contrastait au milieu de cette mer flamboyante.  Sa chevelure noire jais s’accordait parfaitement avec ses yeux de même teinte.  À son cou pendait son habituel collier des « Reliques de la mort », tout droit sorti de son univers préféré : Harry Potter.  Personnellement, je n’avais jamais compris son envoûtement pour cette saga : je trouvais que les personnages étaient gamins et que l’histoire était assez simple, voir un peu cliché.
- Salut Jul, ai-je lancé en utilisant un des surnoms de l’interpellée.
  Celle-ci, qui ne m’avait pas encore remarqué, se tourna vers moi en m’offrant son plus beau sourire.
- Hey Alix ! On y va ensemble ? a-t-elle proposé.
- Bien-sûr !
  Nous nous sommes donc engouffrées coude à coude entre les arbres et on a papoté de tout et de rien durant le trajet.
  La nature était magnifique, les frondaisons déployant avec splendeur leurs ombres, comme si dame-nature elle-même était heureuse de nous accueillir en son sein.
  Avec un léger retard, nous sommes arrivées au pied de la cascade.  Le fracas qu’elle faisait ne nous faisais pas peur : on n’avait pas vraiment l’intention de dormir.  Des pierres de toutes tailles permettaient de traverser la rivière sans se mouiller mais le courant n’étant pas fort et vu que nous allions de toute manière être mouillé, nous avions pris l’habitude de mettre nos pieds dans l’eau.
  Julia a sorti un parapluie.  Je vous laisse deviner sa couleur.  Elle est passée sous l’eau plus ou moins à l’abri et je me suis maudite de ne pas y avoir pensé aussi.  J’ai couru pour passer sous la cataracte et, passée de l’autre côté, mes vêtements étaient complètement détrempés.
  À l’intérieur, la grotte était faiblement illuminée par le soleil qui passait entre le mur d’eau servant d’entrée.  On pouvait affirmer avec certitude qu’elle avait été faite par l’homme et non par l’érosion.  En effet, elle consistait en un long couloir avant de finir sur une pièce d’une douzaine de mètres-carrés, le tout parfaitement droit et symétrique.  Une fois, on s’était même amusés à imaginer de nombreux scénarios, plausibles ou pas, sur la raison de sa présence : Thomas avait affirmé que c’était le gouvernement qui l’avait construite comme base de repli, Julia, elle, a émis l’hypothèse que c’était un vieux schnoque un peu paranoïaque qui l’avait creusé pour se protéger en cas de fin du monde ou quelque chose comme ça tandis que moi, je leur avait certifié que c’était l’antre d’un dragon (ne vous moquez pas, j’avais dix ans et une imagination un peu trop débordante !).
  Dans notre chambre d’un soir, on a trouvé notre ami Thomas Spencer qui avait visiblement été stoppé dans le montage des guirlandes lumineuses.  Pour vous le décrire rapidement, il ressemble à Will Smith avec trente-cinq ans de moins.
  Il nous a salué et nous lui avons rendu la pareille.  On l’a aidé à installer les dernières lumières tandis que le jour se transformait doucement en nuit. Une fois allumées, la lueur des ampoules donnait à l'endroit une impression plutôt cosy.  On a sorti chacun nos sacs de couchage : la soirée pouvait enfin commencer !
- Eh, j’ai pris mon baffle, ça vous dit que je mette un peu de musique pour couvrir le bruit de l’eau ? nous a questionnées Tom.
  Avant même de recevoir mon approbation ou celle de Julia, il a sorti son enceinte et son téléphone.  Ses choix de musiques était assez restreints : c’était toujours soit de la musique classique, soit des tubes des années 80.  Cela ne me dérangeait pas car, comme lui, ces musiques me plaisaient assez.  En revanche, Julia préférait largement les musiques actuelles.  C’est donc sur « Sweet Dreams » de Eurythmics que nous avons commencé à vraiment discuter.
- Vous avez entendu l’histoire du mec qui a gardé ses cinq enfants adoptifs dans sa cave en leur racontant qu’ils étaient les derniers hommes sur Terre? a commencé Julia.
  Quand Thomas et moi avons secoué la tête, Julia nous a déballé toute l’histoire, en accentuant à coup sûr un peu l’horreur de la chose.
- C’est horrible, me-suis-je exclamée à la fin de son récit.
  Apparemment, cette famille avait fait la une de plusieurs journaux pourtant, je n’en avais même pas entendu parler.  Il faudrait peut-être que je me remette à regarder les nouvelles…
  Tom a ensuite proposé un jeu :
- C’est simple, il y a un psychiatre et les autres sont ses patients.  Ces derniers croient chacun être l’autre.  Le médecin doit poser des questions aux deux malades qui ne peuvent répondre que par oui ou par non.  Si l’un, des deux répond mal à la question, l’autre crie « psychiatre » et celui qui s’est trompé devient à son tour la personne qui pose les questions.  Ça nous permettra de voir si on se connaît bien, a-t-il terminé avec un clin d’œil.
  Petit à petit ou à vitesse grand V selon le point de vue, les heures ont défilé, entre jeux et histoires, entre blagues et bonbons.  Mais rien de ce que nous avions dit n'égalait ce qui s’est passé après vingt-trois heures neuf.

HalloweenOù les histoires vivent. Découvrez maintenant