Chapitre 4, ou comment affronter son destin en flippant [Corrigé]

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Je hochai la tête et la suivis hors de la salle de bain et de l'appartement. A l'extérieur se tenait toute ma famille, tendue, patiente. Mes frères et sœurs étaient serrés les uns contre les autres et, au milieu, son visage fatigué et anxieux barré d'un sourire, mon père. Mon cœur sembla exploser dans ma poitrine.

— Papa !

Je lui sautai au cou. Oubliez tout ce que j'ai pu dire sur la femme fatale, j'étais de nouveau une enfant qui retrouvait son père après plusieurs semaines et qui, dans ses bras, se sentait enfin chez elle. J'enfouis ma tête au creux de son cou et, tandis qu'il me serrait contre lui, essayai de percevoir l'odeur de la nature sur lui. Mais comme à chaque fois, les six douches qu'il avait dû prendre en sortant des serres avaient effacées toutes senteurs.

Cela faisait un bon mois que je ne l'avais pas vu. Ceux qui partaient travailler aux serres ne revenaient pas souvent voir leur famille, même s'ils se tuaient au travail pour elle. Ils dormaient là-bas, mangeaient là-bas et ne sortaient qu'une fois leur cession terminée. Je me reculai un peu pour l'observer et son apparence me fit un choc. Comme Horace et tant d'autres Sodiums de notre étage, la peau de son visage semblait commencer à fondre. Chez mon mentor, c'est tout le côté droit qui avait été touché. Pour mon père, cela se voyait sur le bas de son menton et je savais que ce n'était qu'une question de temps avant que la maladie ne se propage. Je me rendis compte que Tiago avait raison. Ça le tuait.

— Alors, je fais si peur que ça ?

Il avait perçu mon regard inquiet sur lui et me fit un sourire rassurant, sans réussir pour autant à masquer le léger tremblement de sa lèvre inférieure. Je secouai la tête.

— J'ai cru que tu ne serais jamais de retour à temps, murmurai-je en essayant de cacher mon soulagement. Et que tu louperais...

— Cyanna, c'est le jour le plus important de ta vie. Il faudrait me tuer pour m'empêcher d'y assister. Je suis là... nous sommes tous là pour toi.

Je ne m'étais pas rendu compte à quel point sa présence comptait pour moi avant de le voir arriver en chair et en os. Plus émue que je n'aurais jamais osé le montrer, je lui adressai un sourire tremblant. Ma mère arriva derrière moi et me dépassa, se dirigeant vers son mari. Il n'y eu ni câlinages ni embrassades et ils se contentèrent de se tenir fermement la main, les yeux dans les yeux. Mais il y avait tant d'amour et de bonheur dans ce regard échangé que je ne pus m'empêcher de me détourner de ce moment intime.

Mes frères et sœurs riaient, partageant des banalités et discutant comme si de rien n'était. Seulement, tous avaient la même peur dans le regard. La peur du lendemain, la peur de l'abandon. La peur que je disparaisse comme leurs deux ainés. Je saisis Alex à part. Âgé de trois ans de moins que moi, ça allait être à son tour d'assumer le rôle d'ainé de la famille. Lui comme moi savions qu'il n'était pas prêt à ça. Il aimait plaisanter, faire des blagues, ne rien faire de ses journées et sécher l'école pour aller fumer Dieu sait quoi dans des recoins sombres.

— Il faut que tu prennes soin d'eux, lui intimai-je plus durement que je ne l'aurais voulu. Pas... pas à ma manière. Mais ils vont avoir besoin de ton soutien. Eux, et maman. Promets-moi que tu seras là.

Il se dégagea de ma poigne, un air bougon sur le visage. Ah, la crise d'adolescence. Un vrai plaisir.

— Je sais, pas besoin de me le répéter, maugréa-t-il. J'ai hâte que tu te casses comme les autres et que je sois enfin tranquille.

— Alex. Promets-le-moi.

Devant mon ton grave, il releva la tête et perdit son air faussement agacé. Il pinça les lèvres, puis acquiesça.

[Atomes]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant