Raven

466 36 1
                                    

- Qu'est-ce qui te fais rire ?

- La poésie me met toujours de bonne humeur.

- La poésie ?

Lauren fronça les sourcils, perdue. Pendant ses années d'internement, elle avait pourtant pris l'habitude de communiquer avec des gens étranges, et d'entamer des discussions qui n'allaient jamais nulle part. Mais jamais on ne l'avait perdue aussi rapidement.

- De la poésie, répondit Camila. Tu as comparé mon sang au rouge de mon pastel. Pour colorer l'arbre de vie que tu étais en train de dessiner. C'est digne d'un poème, tu ne trouves pas ?

- C'était une menace.

- Ce ne peut-être une menace que si je décide que c'en est une. Je préfère prendre ça comme une.. Une illumination lyrique de ta part, répondit Camila, soudain très sérieuse.

Lauren resta silencieuse un moment alors que son regard se posait malencontreusement sur les yeux aux couleurs de chocolats de son interlocutrice pour en rester prisonnier.

Absolument rien n'avait de sens.

Ni son cœur, habituellement apathique, qui s'emballait un peu plus à chaque battement.

Ni son cerveau, presque toujours attentif et précis, qui se noyait à présent dans le brouillard.

Ni le rire angélique de Camila né d'un éclat de violence.

Ni le changement étrange et soudain du comportement de la jeune femme, qui était passée d'une enfant bien trop curieuse à une amatrice de littérature pleine de culture.

Lauren détestait quand quelque chose n'était pas logique ou ne coulait pas de source, exactement comme en ce moment précis.

Et pourtant, pour la première fois depuis deux ans, Lauren n'était pas en colère. Elle n'était pas tendue, rancunière ou anxieuse. Elle était juste curieuse et avide d'en apprendre plus sur la jeune femme exubérante qui se tenait face à elle et la dévisageait d'un air serein.

- Camila ?

Lauren tourna la tête en direction de la voix qui venait d'interrompre ses pensées. Elle appartenait à un autre médecin, une femme en blouse avec de longs cheveux blonds et une taille largement inférieure à la moyenne, qui les observait avec un air bienveillant.

- Bonjour Dr. Brooke, dit Camila en se levant, un immense sourire illuminant son visage.

- Tu as de la visite ! Tu te souviens dans quelle salle tu dois te rendre ?

Camila hocha la tête aux mots de la femme blonde, puis se tourna vers Lauren, sans que son sourire ne faiblisse un instant.

- Comment est-ce que tu t'appelles, demanda-t-elle de nouveau.

- Je n'ai pas l'intention de te donner mon nom.

- Mais je t'ai donné le mien ! Je m'appelle C..

- Je m'en fous.

- Très bien..

Camila fixa Lauren quelques secondes, lança un regard en biais à son dessin, puis redressa la tête avec un air satisfait.

- D'accord. En attendant que tu changes d'avis, je t'appellerais Corbeau.

- Tu es prête à y aller, Camila ?

Camila hocha vigoureusement la tête, excitée, et elle se retourna pour suivre le Dr. Brooke. Alors qu'elle commençait à disparaître entre les deux grandes portes coupe-feu de la pièce, la femme blonde se pencha sur sa patiente et cette dernière frappa dans ses mains en laissant de nouveau échapper un de ses rires si caractéristiques.

Lauren observa toute la scène sans faire le moindre mouvement, et de nombreuses questions affluèrent dans son esprit, brouillant quasiment sa vision tant elles étaient nombreuses. Qui était cette fille ? Pourquoi est ce qu'elle se comportait ainsi ? Pourquoi avait-elle droit aux visites le lundi matin ? Pourquoi est ce qu'un médecin qu'elle n'avait jamais vu jusque-là était chargé de s'occuper d'elle ? Et surtout.. D'où lui était venue cette stupide idée de l'appeler "Corbeau" ?

Le dessin..

Lauren baissa les yeux vers la feuille sur laquelle attendait piteusement son dessin ruiné : un arbre de vie bien loin d'être terminé. Elle porta ensuite son attention sur les tâches de peinture noire qui s'étaient écrasée contre le papier quand elle avait agrippé le poignet de Camila. Est ce qu'elle avait prit ces éclaboussures pour des oiseaux ? Des corbeaux ?

La jeune femme secoua lentement la tête et passa une main dans ses longs cheveux noirs.

- On en a trouvé une encore plus dingue que toi, intervint le Géant débile.

Lauren ne répondit pas. Elle plia soigneusement le dessin en quatre, le glissa dans sa poche en s'assurant que le Géant la voyait faire - et donc qu'il l'y autorisait - et attendit en silence de pouvoir sortir d'ici.

* * * * *

Vivre avec un homme bien trop grand pour son propre cerveau se révéla être encore plus contrariant que ce à quoi s'était attendue Lauren. Le temps où elle pouvait se tenir en retrait et s'enfermer dans un mur de silence n'était plus qu'un lointain souvenir. Elle devait suivre un emploi du temps aussi strict que ridicule. Ses nuits étaient plus courtes et ses journées bien plus longues. Elle était constamment bouillante de rage à cause du comportement et des mots du Géant débile, le feu courant dans ses veines ne trouvant jamais un instant de répit, même pas un instant.

Et le pire de tout ; elle était forcée de venir au moins deux fois par jour dans la cantine du WPH, et évidemment de vider entièrement son plateau à chaque fois. Elle avait repris le poids et les forces qu'elle avait perdu depuis le début de son internement, mais elle avait surtout constamment un goût immonde sur le bout de la langue.

Elle n'avait même pas eu la chance, ou la malchance - elle-même n'en était pas vraiment certaine - de retomber sur Camila, ni d'entendre son rire étrange. En revanche, elle avait pu se rendre compte qu'elle n'était pas la seule dont l'attention avait littéralement était happée par la jeune femme, puisque partout où elle se rendait, les rumeurs sur elle circulaient à bon train.

- Elle n'est pas malade. Elle a été envoyée ici par les Services Secrets pour tous nous espionner.

- Elle est hyper dangereuse. Vous avez entendu son rire ? C'est forcément sa marque de fabrique quand elle tue quelqu'un, comme ces gars qui écrivent leurs initiales sur le front de leurs victimes.

- Son médecin la suit partout parce qu'elle est en danger ici. Tu as vu sa taille ? On dirait une gamine.

- Moi, je suis sûre que Brooke l'escorte pour l'empêcher de péter un plomb et de nous tomber dessus. Elle me fait flipper.

Même en laissant traîner son oreille pendant plus d'une semaine, Lauren ne recueillit aucune information qui l'intéressait ou qui ne lui paraissait pas totalement ridicule. Alors elle avait tout simplement cessé d'écouter.

Après une dizaine de jours supplémentaires, elle s'était finalement faite à l'idée que Camila avait probablement quitté le WPH, et que par conséquent elle ne croiserait plus jamais son chemin.

Et une fois de plus, le monde s'attela rapidement à lui rappeler qu'elle ne pouvait pas avoir raison.

* * * * *

Le Wayward Psychiatric Hospital appliquait une politique qui encourageait les patients à mieux se comporter et à apprendre à se maîtriser seuls au-delà des thérapies et des traitements médicamenteux. Pour chaque semaine passée sans causer le moindre problème, le patient docile se voyait récompenser par ce que le personnel de l'hôpital appelait un "Passe", un petit bout de carton coloré qui permettait d'avoir accès à un service ou une action normalement interdit au sein du WPH, dans les limites du raisonnable évidemment.

Puisque Lauren avait vécu le dernier mois avec le regard scrutateur de Harty sur elle, elle n'avait pas eu l'occasion de causer le moindre problème et avait donc accumulé les Passes sans produire le moindre effort.

C'est pour cette raison qu'elle se retrouva seule, un soir, dans l'arrière-cour de l'hôpital, une zone qui servait d'espace de détente aux patients les plus calmes et les moins dangereux de l'établissement. Évidemment, elle n'était pas réellement seule, puisqu'elle pouvait facilement imaginer le regard d'approximativement trois gardiens et sûrement une dizaine de caméras de sécurité sur elle. Mais au moins, Harty était momentanément absent. C'était plus de calme et de tranquillité qu'elle n'avait eu depuis des semaines.

Lauren joua un moment avec la cigarette qu'elle avait obtenu grâce à l'un des Passes et l'alluma, impatiente de sentir à nouveau la fumée et le goût du tabac se répandre dans son corps après plus de deux ans. Elle glissa le cylindre entre ses lèvres et inspira longuement, les yeux clos.

- Je n'avais jamais vu un oiseau fumer. Est ce que tes plumes vont prendre la couleur de ton souffle ? Ou bien tes poumons la couleur de ton plumage ?

Étrangement, Lauren ne fut pas vraiment surprise d'entendre cette voix sortie de nulle part.

Elle retira la cigarette d'entre ses lèvres pour la coincer entre son index et son majeur. Elle expira lentement la fumée, se retourna et ses grands yeux verts croisèrent aussitôt deux grands orbes chocolatés.

- Bonsoir, Corbeau.

- Laisse moi tranquille.

MAGIC FLEE (Camren)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant