Interrogatoire

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Jamais hommes ne furent si heureux de mettre le pied à terre que ceux se rendant vers Idris. Une fois le choc d'une nuit spécifique passé, Alec redevint son lui usuel. D'un commun accord silencieux, les deux jeunes ne dirent pas un mot de cette fameuse soirée à Ragnor. Désormais, une voiture avec chauffeur les emmenait à une adresse faisant battre à tout rompre le cœur de Alec.

Le 451, avenue des anges.

Dans les grandes rues de la ville, tous les lieux se suivaient et se ressemblaient. Des pavés blancs à perte de vue. Le vrombissement des moteurs, les bruits des pneus sur le sol composés de tout petits carrés tantôt immaculés, tantôt beige, mais créant une mosaïque quasi accidentelle. Les numéros défilaient sous leurs yeux et le myocarde de celui qui pourrait bien être le dernier hériter de l'empire d'Alicante menaçait de lâcher à chaque numéro le rapprochant du 451. Encore dix maisons, et il verrait se dressait le lieu où l'attendait sa sentence. Elle se dressait là, faite en pierres anciennes et avec des moulures sur la façade avant. Une immense fenêtre laissait le jour entrer dans ce qui devait être le salon. Devant la maison, une grille de fer mesurait environ deux mètres et projetait son ombre sur une pelouse soigneusement taillée. Alec ne serait pas étonné qu'un homme soit payé pour la couper au ciseau d'or. Les habitants de ce quartier devaient tous posséder une fortune, mais ce n'était rien comparé à ce qui se dressait sous le nez des trois anciens habitants d'Alicante.

— Tu es prêt ? demandait Ragnor, son sourire se faisant plus doux que durant les dix dernières minutes.
— Non ? répondait Alec, les mains moites et le teint cadavérique.

Même la présence de Magnus ou du petit Blue n'aidait pas à le voir se calmer. S'il avait fait ce voyage pour rien ? Si on le jetait dehors, et qu'il soit contraint de rentrer dans sa contrée, où rien ne l'attendait ? Le brun ne se voyait pas rentrer chez lui... et autant dire que maintenant qu'il portait à nouveau ses vêtements d'orphelin, la sensation princière ne l'habitait pas le moins du monde. Peut-être aurait-il dû demander de porter son habit de lumière, au moins pour cette rencontre ? Avant qu'il ne puisse paniquer plus encore, le heurtoir annonçait leur arrivée aux occupants de la maison. Une femme qui devait être la gouvernante principale vint ouvrir, avant qu'une autre créature de toute beauté — bien qu'âgée — ne la pousse en découvrant Ragnor sur le pas de sa porte. Aucun doute, ces deux-là se connaissaient et se retrouvaient avec profusion de rires, de questions lancées dans tous les sens, avant que la femme nommée Catarina ne semble remarquer qu'ils n'étaient pas seuls.

— Je manque à tous mes devoirs. Entrez, entrez. Soyez tous les bienvenus.

Un salon chic. Quelques fauteuils confortables. Une cheminée. Ils s'installèrent et déjà, la femme prenait Blue sur ses genoux pour lui répéter encore et encore combien il était adorable. Rien de tel pour se faire adorer d'un enfant qui jouait avec ses perles et autres éléments de sa tenue. Ce n'est qu'une fois leurs boissons terminées qu'ils entrèrent dans le vif du sujet. Tel un porte-parole, alors que Magnus se plongeait dans ses pensées et prières, Ragnor posait une main sur l'épaule de leur passerelle entre l'argent et eux-mêmes. Le duo de malfrats bien involontaires. Enfin... involontaire restait un grand mot, vu qu'ils montèrent à deux cette magouille, avant de mieux se servir de l'innocence de leur proie.

— Je sais que bien des gens sont venus avant nous avec une telle nouvelle. Cependant, laisse-moi te présenter le seul et vrai héritier au trône d'Alicante. Le prince Alexander Gideon Lightwood. Nous avons découvert ce garçon, alors qu'il sortait de l'orphelinat où il passa sa vie depuis le massacre.

Cette fois, Catarina sembla vraiment voir Alec. Son regard marron l'étudiait sous toutes les coutures dès qu'elle invita celui qui pourrait être le petit-fils de sa cousine à se lever. Elle tournait autour de lui, scrutait sa carrure, ses traits, sa façon de se tenir. Sur plus d'un détail, la cible de son étude possédait des similitudes avec l'enfant que la famille vit pour la dernière fois il y a une décennie. Hélas, ce fut le cas de bien d'autres jeunes avant ce jour. Tous se formèrent soigneusement à l'art de devenir un prince et, malgré la présence de Ragnor, la femme à la peau brune se devait de faire montre de prudence. Malgré son caractère proche de l'intemporalité, l'impératrice douairière se faisait vieille désormais, et son cœur ne saurait supporter plus de mensonges encore.

Le poids de l'absenceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant