King of Edom

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Dix mois plus tard.

Dire que sa vie bascula du tout au tout suite à son entretien avec madame Lightwood serait encore un euphémisme. Même après un peu plus de quarante semaines, il lui semblait impossible qu'il soit passé d'un fils de personne, un bâtard comme on le disait dans sa rue, à un membre important de la cour de l'impératrice douairière. Autrefois invisible dans les couloirs d'un immense palais au milieu des autres domestiques, on s'inclinait maintenant devant lui en portant la main au chapeau. On l'appelait Monsieur ! Parfois même, surtout quand on parlait de ceux le rencontrant pour la toute première fois, on allait jusqu'à prononcer les mots : Votre Altesse, afin de le saluer. Il venait de gravir tous les échelons en grillant les étapes. Si on pouvait s'élever par la chance ou le mariage dans l'échelle sociale, personne ne devait pouvoir se vanter d'avoir, comme lui, bondi du caniveau au sommet. Cela commença dès la lecture de Phœbe Lightwood, qui l'informa que suite à la mort certaine et définitive d'Asmodeus et la découverte de leur parenté claire et nette il devenait l'héritier légitime au trône d'Edom. Première nouvelle choquante, surtout en sachant que cet endroit souffrait du régime des Morgenstern depuis la disparition de son ancien roi, qui brillait lui aussi par sa cruauté. Ce qui voulait dire que d'un point de vue légal, il ne tenait qu'à lui de remplacer le pouvoir en place pour espérer attirer ce royaume vers la lumière. Bien entendu, cela ne s'arrêta pas là. Au contraire ! Non contente de lui annoncer que loin d'être fils de rien, il était fils de roi... Phœbe lui annonçait que, vu l'étendue de sa fortune qui aurait dû aller à l'ensemble de ses petits-enfants, elle faisait de lui son second et dernier héritier; au même titre que l'oiseau sauvage nommé Alexander, qui se trouvait maintenant dieu seul sait où. Quelque part où personne ne penserait à le trouver, ce qui laissait un champ des possibles très vaste. Après tout, ils se trouvaient l'un comme l'autre dans un pays totalement étranger. Bien entendu, Magnus tenta de protester, de faire savoir à la femme qu'elle ne devait pas se sentir obligée de faire cela pour lui. Il ne voulait pas de récompenses pour ce qu'il fit en ramenant le prince ici. Bien au contraire. Phœbe refusait pourtant de l'entendre et invita même son notaire pour que ce dernier fasse la lecture officielle — et la signature — de sa maîtresse. À en juger par la voix un peu grésillante de l'homme, Magnus ne doutait pas que ce dernier soit dans la désapprobation absolue de cette manœuvre. Un peu comme le nouveau légataire en réalité. Que dire à une impératrice faisant de vous un noble ? Non, clairement, on ne tentait pas de lui donner des ordres et qu'on se le dise, son grand âge ne la rendait pas sénile. On ne pourrait donc pas accuser le sorcier et futur roi d'Edom — s'il le désirait — de lui avoir embrouillé l'esprit.

Magnus ne savait plus quoi faire de sa vie en réalité. À la rigueur, accepter l'héritage que Mme Lightwood voulait lui léguer, il pouvait le faire. Reprendre le trône d'Edom par contre ? Comment ? Est-ce qu'un roi qui ne voyait pas réellement pour prétendre pouvoir guider son peuple ? Même si l'on disait que la justice était aveugle et que, clairement, faire régner la justice entrait dans les fonctions d'un souverain, il doutait que les choses soient si simples. Un roi menait aussi de grandes et terribles batailles. Des guerres. L'absence du sens de la vue l'empêcherait de se sacrifier et de montrer l'exemple à ses soldats.

— Aga !

— Tu as de la chance, petit Blueberry. Tu n'as pas à te soucier de tout cela. Tout ce que tu dois faire, c'est être mignon, recevoir des câlins de tout le monde et... baver sur ma chemise.

Le bébé qu'il sauva dans le train lors du voyage jusqu'ici vivait aussi au palais maintenant. Magnus suspectait que ce soit une autre raison ayant poussé l'impératrice à faire de lui son héritier, pour que le bébé soit assuré de bien vivre. Tout le monde adorait Blue ici. Les domestiques, les nobles, Catarina... Catarina adorait l'enfant, elle venait tout le temps le voir. Soyons honnêtes pourtant, Magnus passait le plus clair de son temps avec son protégé, le seul avec qui il se sentait à sa place après l'incident. Le seul à faire preuve — à son sens — d'une honnêteté et d'une pureté non feintes. Les adultes mentaient, les enfants non. Le monde ne les avait pas encore pervertis pour faire d'eux des êtres qui comprenaient que dans la vie, les jeux de faux-semblants tenaient une grande place. Si une comparaison devait se faire, les adultes seraient les corps décharnés de créatures séparées de leurs âmes heureuses. Les enfants, les êtres faits de lumière pure, comme pour contraster avec l'ombre menaçante qui s'échappait des adultes désillusionnés par la vie. Hélas, même la lumière de Blue ne pouvait atteindre la noirceur de son monde personnel. Tout comme pour le reste de son environnement et des gens, il ne discernait que les contours magiques orangés du petit garçon, qui ronronnait presque dans ses bras en appuyant sur le bout du nez de l'adulte.

Le poids de l'absenceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant