Tête froide

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Alec se trouvait au milieu de nulle part et au lieu de se sentir seul, il avait l'impression d'être plus libre que jamais. Personne pour lui dire quoi faire. Personne pour lui mentir. Juste lui, quelques chèvres et la visite ponctuelle de gens du village en contrebas. Lors de son arrivée, la petite voix de sa conscience lui hurlait que tout le monde lui mentait et lui voulait du mal. Que ce soit Magnus, Ragnor, sa grand-maman. Sa conscience lui martelait que s'il accordait sa confiance à ces gens, un destin funeste l'attendrait. Les semaines passèrent et avec, le poids de cette ombre allait en s'amenuisant.

Au bout d'un mois, Alec se réveillait en sursaut dans son lit de paille. Son corps tremblait à cause de la terreur due à son cauchemar. Loin de s'efface de son esprit, la scène restait s'imprimait dans ses prunelles bleues. Il se voyait lors de la fête au palais. Il voyait Asmodeus l'approcher, sa forme spectrale, les frissons le long de son corps. La peur enserrait ses entrailles et l'homme parlait. Son souffle putride envahissait ses narines en même temps qu'une étrange fumée et là... là, Magnus arrivait pour le sauver, mais quelque chose ne se passait pas comme prévu. Il devrait ressentir du soulagement. Remercier son ami, malgré ses mensonges. Il ne voyait que ses yeux jaunes semblables à ceux de l'ennemi et quand il fuyait, la rage l'envahissait. Une rage incroyable. Un sentiment de trahison comme il n'en avait plus senti depuis longtemps... il rejeta Magnus. Lui ordonna de ne plus l'approcher. Le traita de monstre ! Comment avait-il... ?

— Qu'est-ce que j'ai fait ?

Il en était certain maintenant. S'il fut le seul — avec sa grand-mère — à s'échapper du palais cette terrible nuit, ce n'était pas le fruit du hasard. Magnus découvrit sans doute sa magie lors de l'assaut. Mince... sa grand-mère. Il l'avait rejetée aussi. Elle se trouvait sans doute dans son château de campagne, se demandant pourquoi son unique famille décida de s'envoler loin d'elle en déblatérant sur le fait qu'elle puisse vouloir le tuer.

— Idiot. Crétin des Alpes. On ne fait pas plus stupide que toi.

Habité par la honte et une énergie nouvelle, Alec ouvrait la porte pour chercher son journal et se figeait face à la première page. Edom venait de couronner un nouveau roi. En soit, cela lui semblait logique vu la mort officielle cette fois du tyran précédent. En revanche, découvrir le visage de Magnus coiffé d'une couronne... il ne s'y était pas attendu. Comment les choses purent-elles changer à ce point en si peu de temps ? Devait-il rentrer ou... est-ce qu'on voulait seulement encore de lui ? Après tout ce qu'il avait fait et son départ aussi rapide.

— Ne fait pas l'enfant. Rentre. Tu n'as pas le choix.

Sans compter que quelque chose le chiffonnait sur la photographie de Magnus. Son regard. La lueur qui y résidait avant semblait s'être envolée. Il fixait un point dans le vague, sans même avoir l'air de le voir. Que pouvait-il s'être passé en son absence ? Une petite voix, celle de sa peur, soufflait que c'était de sa faute. Après tout, rien ne pouvait affirmer que les choses ne prirent pas un tournant plus dramatique sur les journaux ne le laissaient entendre suite à son départ. Comment aurait-il réagi si, en découvrant un talent surnaturel chez lui, Magnus s'était tourné vers la comparaison blessante à un monstre ? Pourquoi diable avait-il seulement fait ça ? Même Alec ne comprenait pas, et il sentait une fois encore une boule d'angoisse se former dans sa gorge. C'était comme si, pendant un temps, un mauvais esprit s'était emparé de son être afin de le changer en créature sans cœur. Un mauvais esprit... ou un sortilège. La créature désincarnée qu'était Asmodeus murmurait quelque chose dans son souvenir, et aussitôt après, il avait perdu la raison.

— Ce n'était pas moi ! C'était... quelqu'un d'autre !

Un tel bonheur ne le touchait plus depuis des semaines. Plus déterminé que jamais, Alec décidait pour de bon de s'en aller et rentrer chez lui. Il lui fallait vite éclaircir les choses et comprendre comment le monde pouvait basculer sur son axe aussi rapidement.

Le poids de l'absenceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant