1878. Sur les côtes de l'Afrique équatoriale.
- Alice, mon amour, je vous en prie...
Le comte Edgar de Greystoke d'Angleterre tirait péniblement une grosse barque fissurée sur la plage. L'aube venait d'apparaître à l'horizon. Edgar ne devait pas flancher : les vêtements détrempés, les bottes pleines de sable humide, les mains écorchées et transies de froid, il puisa dans ses toutes dernières forces pour hisser l'embarcation loin des vagues.
- Tenez bon...
Ce devait être le voyage de leur vie... L'aventure, la découverte, leur tour du monde, l'enrichissement de leur affaire... Il avait mis toute sa fortune dans ce voyage ! Il avait lui-même choisi chaque homme d'équipage, planifié les chemins à emprunter, fait l'inventaire... Il s'était donné corps et âme pour cette expédition, son épouse, sa chère épouse, l'avait aidé et encouragé (qui aurait pu le suivre dans une telle folie ?) et, au moment des adieux, elle n'avait pas eu le cœur à le laisser et avait embarqué avec lui ! Dire que les premiers jours s'étaient idéalement passés... Puis Edgar avait remarqué ce dédain dans le regard du capitaine quand il venait vérifier le trajet sur ses cartes... Les chuchotements parmi les hommes d'équipage... L'absence d'échanges, ces airs mesquins, le manque d'intérêt dans l'accomplissement de leurs tâches... Hélas, il avait été trop tard.
Dans la barque, où quelques uns des paquets du couple avaient été entassés, gisait Lady Alice II, comtesse de Greystoke, le teint verdâtre, la respiration saccadée, l'estomac retourné, les paupières papillonnantes...
- Ces crapules... Je les ferai tous pendre ! Sur mon honneur !
Ils avaient été réveillés la nuit dernière, levés, forcés de rassembler en vitesse leurs effets personnels et priés de quitter le pont sans autre forme de procès !
Après avoir été balancé par les flots pendant des heures à en être malade, dans une embarcation qui menaçait de couler à chaque secousse, le couple avait échoué sur une plage. Sans chercher à savoir où ils étaient pour le moment, le comte se hâtait pour mettre son épouse au sec et à l'abri du vent. Il faillit s'écrouler sur le sable quand il fut assez loin du rivage, à l'orée une forêt dense. Il s'appuya sur la barque et s'y pencha :
- Alice ? Alice, ma chère, nous avons touché terre ! Voyez ! Rien ne peut nous arriver maintenant.
Son épouse le regarda faiblement.
- ... Sommes-nous à Londres ?
Edgar se retint de pleurer. Il glissa sa main dans la sienne et la serra fort pour se contenir.
- Ô, Alice, mon amour... Je... Je vais nous sortir de là ! Je vais veiller sur vous ! Je vous le promets, je... Ce n'est pas fini ! Ils paieront pour cette trahison ! Sur mon honneur, ils...
- Quand serons-nous en Angleterre ?
- ... Bientôt ! Nous y retournerons... Nous retrouverons notre chez nous. Ce n'est qu'un malheureux contre-temps...
Il la redressa, passa ses bras sous son corps et la porta hors de la barque, jusqu'à une souche d'arbre. Il fit plusieurs allers-retours pour étaler leurs affaires autour de sa femme afin de les sécher.
Enfin, l'aurore se leva. Alice s'était endormie. Edgar s'éloigna quelques instants dans la forêt afin d'inspecter un peu ces étranges environs, maintenant qu'il y avait un peu de luminosité. Après tout, peut-être n'avaient-ils pas échoué loin de l'Angleterre... Ils pourraient trouver un port ou une gare pour se rendre en ville. Il régnait dans cette nature un silence des plus angoissants. Les arbres qu'il vit étaient les plus grands, les plus hauts et les plus majestueux qu'il n'avait jamais vu. Leurs feuillages et leurs racines faisaient sa taille. Il s'aventura prudemment, au hasard, en prenant soin de jeter des regards derrière lui, paré à rebrousser chemin si Alice le demandait. Il s'enfonça encore un peu et sursauta à l'entente d'un petit cri au-dessus de lui. Il leva la tête : aucun doute, c'était un lémurien qui, perché sur une branche, le toisait, curieux. Edgar fixa l'animal et paniqua : cette espèce n'existait pas en Europe ! Il regarda autour de lui : la mousse sur les arbres paraissait humide mais la verdure de la végétation indiquait un climat sec. Si Edgar avait toujours privilégié l'Histoire lors de ses études, il n'était pas inculte de géographie et savait que cet environnement était typique d'une jungle du continent africain !
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La Femme de la Jungle : La légende de Tarzane et John 🐒
Adventure"Crois en ce qui compte le plus pour toi..." A l'aube du XXème siècle, dans la jungle africaine, Tarzane, une héritière perdue, vit parmi les gorilles qui l'ont élevée. Ses aptitudes primates et son intelligence lui octroient la possibilité de deven...