1. Sélenne

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— Ne fais pas cette tête, ma belle. Profite de l’endroit. Tu ne trouves pas ce bistrot charmant ?

— Tu es gonflé, Anton.

Je grimace et reprends une gorgée de ma boisson. Quelle idée de commander ce truc sucré et rose ! J’ai besoin d’un alcool plus sec qui m'empêchera de lui dire ses quatre vérités devant toute la salle.
Sa main vient se loger sur ma nuque en dessous de mes cheveux noués en chignon lache. Comme d’habitude, sa poigne ferme et possessive me donne le frisson, mais je n’ai pas envie de lui montrer ne serait-ce qu’une once d’indulgence. Je prends donc un air froid et distant qu’il déteste, puis me recule au bord de la banquette.

— Tu m’avais promis des vacances ! Un moment à deux, seuls, en amoureux.

J’ai l’impression d’agir en enfant gâté, mais je ne dois pas lui laisser toujours décider sans me consulter. Il finirait par m’étouffer et me traiter comme ses ex.

— C’est le cas, grogne-t-il. Tu vois qui autour de nous ? Il n’y a même pas l’ombre d’un garde du corps.

Je commence à l’agacer et c’est tant mieux. Ma frustration n’a pas à être à sens unique.

— Et, reprend-il, nous sommes à plus de huit mille kilomètres des 7 Péchés Capitaux. Tu ne peux pas dire le contraire.

Même Youri n’est pas du voyage, c’est vrai. Le second d’Anton est resté à Milwaukee pour tenir les rênes de la maison. De toute façon, avec sa tête de tueur à gages, ses tatouages et ses airs de psychopathe, il ne serait pas resté discret longtemps. Je le préfère au loin pour ma tranquillité. On s’entend bien, mais il fait peur.

L’ambiance de ce restaurant-cabaret est tellement à l’opposé de notre quartier général où le clan russe blanchit l’argent des affaires d’Anton que je ne peux pas honnêtement le contredire. Nous sommes en Italie, dans la belle ville de Centori. La musique est moderne, le lieu plus conventionnel, familial. C’est… déroutant et chaleureux. Les tables rondes recouvertes de nappes blanches, décorées de petites fleurs en leur centre, l’ambiance familiale, le menu laissé au choix et à l'humeur du cuisinier. Tout raconte l’histoire d’une petite ville avec un passé chargé d’anecdotes et de liens resserrés. Milwaukee est une mégapole, froide et sans âme à côté de cette bourgade. Je vois bien, ici et là, des détails qui démontrent que cette communauté est protégée par une famille qui a de l’argent et du pouvoir. Certains hommes portent des costumes qui égalent ceux d’Anton en termes de luxe et de prix, mais d’autres les côtoient sans gêne ni sentiments d’infériorité. L’amertume me submerge, adieu les vacances à deux.

— Ce n’est pas ça… Je pensais que tu ne serais pas pris par tes affaires au moins quelques jours. Que nous passerions cette période de Noël sans prise de tête.

— Ce que nous faisions avant cette discussion, Sélenne, me reproche-t-il en relevant le menton, les yeux assombris par le mécontentement.

Je me lève brusquement, récupérant au passage ma pochette. Anton sursaute de mon geste.

— Où vas-tu ?

— Je retourne à l'hôtel, et ne viens me retrouver que quand tu auras bouclé tes “non-affaires” avec le patron qui n’est pas selon toi “du milieu”. Je ne veux pas entendre parler de ça. Quand tu reviens, ce sera fini, plus de boulot !

— Mais... qui te dit que je vais parler affaires ? Ici ?

Le masque d’indifférence et de froideur qu’il affiche ne parvient pas à me tromper. Plus maintenant.

— Ta mauvaise foi est pathétique, le Russe ! J’ai des yeux, des oreilles. Si les mecs au comptoir sont de simples ouvriers venus boire un verre et se détendre après leur journée de travail, je mange mon chapeau.

Christmas Mafia.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant