Je remarquai quelque chose d'étrange sur son visage..
Pas les cernes noirs sous ses yeux.
Ils étaient toujours là.
Mais, sur le haut de sa joue, une tache jaune avec les bords virant au pourpre.
Comme sur mon genou quand je m'étais cognée à la commode d'acajou écornée près de notre lit le mois d'avant...
- Ma, c'est quoi ça ? Ça fait mal ?
Je levai la main dans l'intention de toucher, mais elle recula brusquement la tête.
- Rien. Ce n'est rien. Allez, dépêche-toi, tu vas rater le bus. Et ne fais pas tant de bruit ou tu vas réveiller ton père.
Père se levait toujours tard le matin.
Parce qu'il travaillait dur à l'imprimerie Rashbihari où il était contremaître, Mère m'avait expliqué, pour gagner notre nourriture et notre loyer.
Comme elle me couchait habituellement avant qu'il soit rentré, je ne le voyais pas beaucoup.
Je l'entendais, cependant, des cris qui secouaient les murs de ma chambre comme s'ils étaient en papier, des bruits de plats qui tombaient.
Les choses tombaient souvent quand Père était là, peut-être parce qu'il était très grand.
Ses mains surtout étaient très grandes, avec des ongles fendillés, noircis et des veines renflées sous la peau comme des serpents bleus.
Je me souvenais de l'odeur chimique et du toucher rêche de ses doigts car quand j'étais petite, il me soulevait soudain de terre et me jetait jusqu'au plafond, me rattrapait puis me jetait, alors que Mère, pendue à ses bras, le suppliait d'arrêter, et je hurlais et hurlais de terreur à en avoir le souffle coupé.
Un ou deux jours plus tard, une nouvelle marque, plus grosse encore et d'un bleu rougeâtre, apparut sur le visage de Mère, sur le côté de son front, ce qui donnait à son visage un aspect penché.
Cette fois-ci, quand je voulus savoir ce que c'était, elle ne dit rien, mais détourna les yeux et regarda fixement sur le mur un endroit où le plâtre était lézardé et commençait à s'écailler, formant une sorte de bouche pendante.
Puis elle me demanda si j'aimerais aller rendre visite à mon grand-père pendant quelques jours.
- Grand-père !
J'avais entendu parler des grands-pères.
La plupart des amies de ma classe en avaient.
Ils leur offraient des cadeaux pour les anniversaires et les emmenaient au grand zoo à Alipore pendant les vacances.
- Je ne savais pas que j'avais un grand-père !
J'étais si excitée que j'en oubliai de parler bas et Mère se hâta de me plaquer sa main sur la bouche.
- Chut. C'est un secret, rien qu'entre toi et moi. Et si nous faisions nos paquets ( valises ) en vitesse, je te parlerai de lui quand nous serons dans le train.
- Un train !
Ce devait être un jour magique, pensais-je, en essayant d'imaginer à quoi ressemblait voyager en train.
On a fait vite, fourrant les saris et les robes dans deux sacs que Mère sortit de dessous le lit.
Ils étaient faits de ce même jute rêche à gros-grain que le sac à provisions dans lequel Père rapportait du poisson frais du bazar, mais à en juger par leur raideur, je compris qu'ils étaient neufs.
J'étais intriguée, quand Mère les avait-elle achetés et comment les avait-elle payés, et comment allait-elle payer nos billets ?
Elle n'avait jamais beaucoup d'argent, et chaque fois qu'elle en demandait, Père piquait une de ses colères.
Peut-être avait-elle économisé pour ce voyage depuis longtemps.
Alors, que nous nous préparions, Mère ne cessait de s'interrompre comme si elle guettait quelque chose, mais tout ce que j'entendais, moi, c'était les ronflements de Père.
Nous marchions sur la pointes des pieds et chuchotions.
C'était si amusant que je m'en moquais bien de ne pas prendre de petit déjeuner, ou même de ne pas pouvoir emporter mes jouets..
• • •
J'espère que cette deuxième partie vous plait.
Emy.
VOUS LISEZ
Mariage arrangé
Storie d'amoreAu mot " amour ", une mère indienne respectueuse des traditions ne donne pas la même signification qu'un jeune amant américain. Comment concilier la puissance d'un sentiment avec les codes sociaux qui tentent de le réglementer ? A cette question, ch...