16. boîte à musique

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À partir de cette nuit-là, leurs promenades changèrent véritablement de nature. N'en déplaise à William, la volière était le théâtre de leurs ébats et les mots qu'il avait tracés à même la pierre les regardaient souvent, trop souvent sans doute, s'allonger et s'éteindre sur le sol dégueulasse, mais toujours plus propre que celui de Poudlard, luisant depuis qu'on l'avait lavé de son innocence.

Daphné n'avait pas encore décidé quoi penser de la tournure qu'avaient pris les choses. Elle n'avait pas encore décidé si elle voulait en penser quoi que ce soit tout court, d'ailleurs. Elle était trop occupée à dormir pour rattraper le sommeil qu'elle ne s'octroyait pas quand elle retrouvait Nott dans la volière et à mentir le reste du temps pour avoir l'occasion de s'en inquiéter réellement, de toute façon.

Ce fut en tout cas le cas jusqu'à un matin de la mi-mars où Daphné se réveilla barbouillée et n'osa pas se mettre sur ses pieds de peur de chanceler.

— Ça va ? s'inquiéta Pansy en ne la voyant pas bouger alors que Vera et Millicent se chamaillaient déjà dans la salle de bain.

— Pas trop. J'ai la tête qui tourne.

— Qu'est-ce qui se passe ? s'enquit Vera en les rejoignant dans le dortoir.

— Daphné se sent mal.

La nouvelle arrivante, qui avait fait quelques pas en leur direction en les voyant réunies près du lit de l'aînée des Greengrass, s'empressa de reculer.

— Tu l'as chopée ! s'écria-t-elle.

Pansy et Daphné se regardèrent sans comprendre.

— La gastro ! Une troisième année est tombée malade l'autre jour !

Elle courut presque jusqu'à la fenêtre, l'ouvrit en grand et brassa l'air frais qui entra dans la pièce. Daphné retint son rire comme elle put mais Pansy n'eut pas cette délicatesse.

— Tu sais, ricana-t-elle, si Daphné avait vraiment la gastro, c'est pas en lui faisant attraper un rhume en plus que tu vas améliorer son état.

— Je ne tomberai pas malade ! martela Vera en réponse.

Elle darda un ongle menaçant – mais parfaitement manucuré – sur Daphné et plissa les yeux.

— Je vais prévenir les profs qu'une épidémie est en train de se répandre. Toi, tu ne bouges pas de ce dortoir avant que Pomfresh soit venue te voir !

Sur ces mots, elle attrapa son sac et sa cape, et quitta la pièce en claquant la porte.

— Elle est folle, déclara Pansy.

— Non, juste hypocondriaque.

Millicent en avait fini avec la salle d'eau et profitait du miroir que Vera avait abandonné sur la commode pour replacer quelques mèches derrière ses oreilles.

— On va petit-déjeuner ?

— Allons-y. Daphné, tu restes ici ?

L'intéressée haussa les épaules.

— Si me mettre en quarantaine peut préserver la réputation de Vera... soupira-t-elle.

*

Un silence peu commun régnait dans cachots, désertés de tous leurs occupants exceptée Daphné. Un silence si lourd, à vrai dire, qu'elle ne se sentait pas la force de bouger pour aller fermer la fenêtre que les filles avaient laissée ouverte. Quand la pluie se mit à tomber, elle finit cependant par se résoudre et rassembla toute sa volonté pour se redresser et repousser ses couvertures.

Elle s'était attendue à avoir de nouveaux vertiges, mais la seule épreuve fut pour ses pieds qui durent affronter le froid du carrelage. Agréablement surprise, elle renonça à regagner son lit et enfila son uniforme.

Elle avait rarement le dortoir pour elle toute seule. Alors les cachots tout entiers ? Elle s'en serait voulu de ne pas en profiter. Envoyant au diable Vera et sa paranoïa, elle passa une écharpe autour de son cou par acquis de conscience et gagna la salle commune. Comme elle s'y était attendue, elle était déserte ; seul le feu, infatigable, ronronnait dans la cheminée.

Elle s'installa sur le canapé qui lui faisait face, celui-là même sur lequel elle n'avait jamais réussi à s'asseoir sans le concours de l'autorité de Drago ou des battements de cils d'Astoria. Elle sourit en se réalisant qu'il n'avait rien de spécial ce canapé, finalement. Il était usé à force d'être pris d'assaut et il y avait même un ressort qui perçait son velours pas loin de la cuisse de Daphné.

Elle resta là longtemps, à regarder les allées et venues du calamar géant par les hublots de la salle commune et à entendre les crépitements du feu. Puis son regard s'égara du côté des escaliers qui donnaient accès aux chambres et une envie la prit.

Craintive même si personne n'était là pour l'observer, Daphné le gravit et, au lieu de grimper jusqu'à l'étage dont elle venait, elle s'arrêta à l'entresol et laissa passer les portes jusqu'à trouver celle qu'elle cherchait. Ignorant la moiteur de ses mains, elle enfonça la poignée et s'engouffra dans le dortoir avant qu'une autre victime de la gastro n'ait la bonne idée de la suspendre.

L'odeur y était atroce, mélange de transpiration, de sandwich abandonné et de renfermé. Elle voulut ouvrir la fenêtre pour aérer, mais fut forcée de constater que, contrairement au sien, le dortoir des garçons donnait sur la surface du lac. Elle soupira et se laissa tomber sur le lit qui paraissait le plus propre. Comprendre qu'il s'agissait de celui de Nott ne l'étonna en rien. Retranché entre la porte de la salle de bain et le baldaquin clos de Drago, il était tiré à quatre épingles, loin du foutoir de draps et d'affaires sales que Crabbe, Goyle et Zabini avaient laissé sur leurs matelas respectifs.

Les étagères qui lui étaient réservées répondaient à la même logique. Les livres étaient rangés par collections, les tas de parchemins et les plumes de rechange sagement ordonnés, et quelques boîtes venaient parfaire le tout. Daphné ne résista pas à l'envie de les ouvrir. Les deux premières ne contenaient que des copies excellemment notées et des notes de cours, mais la dernière fit battre le cœur de Daphné un peu plus vite.

La photo d'une femme qu'elle n'eut pas besoin de reconnaître, un marque page, une lettre encore cachetée et un petit coffret de bois verni y étaient alignés avec le même soin que sur les étagères, si ce n'est plus. Trop curieuse pour son propre bien, Daphné appuya sur le bouton qui servait à ouvrir le coffret et manqua de lâcher la boîte quand une musique résonna dans le dortoir alors que le couvercle se soulevait pour laisser apparaître une chaîne dorée soutenant le cadran d'une montre.

Daphné caressa du doigt les initiales qui y était gravées et compris qu'il s'agissait du dernier – et sans doute seul – cadeau que Nott Senior avait fait à son fils. C'était une très jolie montre, sans doute l'ouvrage d'un Gobelin, et les initiales de Theodore y étaient finement gravées. C'était sans doute une honte de ne pas porter une telle merveille, mais Daphné ne parvenait pas à totalement s'en convaincre.

Trop absorbée par sa contemplation, elle faillit ne pas entendre les pas qui remontaient le couloir et eut tout juste le temps de refermer la boîte à musique, la reposer où elle l'avait trouvée et se cacher derrière les rideaux du baldaquin de Drago avant que la porte ne s'ouvre. Le cœur battant à toute vitesse, elle étouffa son souffle avec sa paume et, tendue, attendit.

— Putain, mais où est-ce qu'il est ? grogna la voix de Zabini.

Il y eut le bruit d'un tiroir qu'on renverse avec avidité et Daphné sentit ses entrailles se nouer en comprenant ce qu'il cherchait. Un joint, de la poudre, n'importe quoi, elle le percevait dans la précipitation que lui communiquaient ses oreilles. Et quand Blaise trouva de quoi se satisfaire et quitta le dortoir, elle ne se sentait pas aussi soulagée qu'elle aurait dû.

Ce ne fut que quand elle eut regagné son propre dortoir après avoir effacé les traces de son passage, toute envie de fouille l'ayant quittée, qu'elle constata la lourdeur inhabituelle de la poche de sa cape et y plongea sa main pour y rencontrer le métal froid de la montre de Nott.

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