9. terrain vague

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Lorsque les premiers flocons parèrent les tours du château, nues de toutes les décorations qu'Hagrid prenait, les années d'avant, soin d'installer, l'idée avait déjà fait son chemin dans l'esprit de Daphné. Elle ne pouvait plus vivre comme ça. Pas sans trahir ou se trahir. Et puisqu'elle n'avait pas les épaules pour révolutionner Poudlard, c'était elle qu'elle devait révolutionner.

Oh, bien sûr, elle avait pensé à aller trouver Blaise. Elle n'était pas sans ignorer l'existence des piles de gallions qui affublaient le coffre Zabini de colonnes d'aisance, répliques rutilantes des voûtes de pierre soutenant les étages de Gringotts, Pellicia Zabini étant une inspiration sans faille pour ses parents quand le goût leur prenait de distiller leur venin. Elle savait que, à ses yeux de nouveau riche, se faire envoyer des plantes exotiques n'était pas un grand investissement et que, quitte à trouver chez elle de quoi justifier son addiction, il n'aurait pas jugé inutile de lui en faire cadeau.

Mais il y avait quelque chose, comme un murmure de la morale que tout son entourage semblait avoir jetée aux oubliettes, qui la maintenait solidement à distance du métis.

Alors il lui avait fallu considérer son autre option. Parler à Nott.

Cependant, pendant tous les jours que décembre étira avant les vacances de Noël, Daphné ne parvint pas à rassembler le courage pour aller le trouver. Elle l'avait trop bien observé pour ça. Trop bien compris que son indifférence était autant le but de sa quête que son principal obstacle.

Et puis... Les murs avaient des oreilles et les résistants des bleus. Les yeux d'opale des fantômes, ceux vernis des tableaux... Elle avait déjà l'impression qu'ils la suivaient et devinaient, derrière le voile de son visage anxieux, le trouble semé parmi ses convictions. Elle ne pouvait pas prendre le risque que leurs oreilles ne le captent aussi.

Ou, tout du moins, elle s'en convainquait ; croire en leur omniprésence, c'était repousser l'échéance.

*

Quand elle grimpa à bord du Poudlard Express au matin du 20 décembre, le bras de sa lâcheté était enroulé autour de ses épaules. Daphné sentait la façon qu'avait son coude de s'enfoncer négligemment dans ses trapèzes alors que le train filait à travers la campagne délavée. Les branches qui giflaient les vitres du wagon, elle avait l'impression que c'était elle qu'elles cherchaient à réveiller, sa fuite à elle qu'elles dénonçaient.

La nuit était déjà tombée lorsqu'elle se leva enfin. Les couloirs du train, pourtant moins intimidants que ceux de Poudlard, étaient tout aussi déserts alors qu'elle remontait de voiture en voiture, agressant de ses pas le silence tranquille des compartiments qu'elle balayait des yeux.

Éventuellement, elle finit par le trouver, plongé dans une lecture quelconque, le dos droit malgré le moelleux des banquettes de chintz. Elle enclencha la poignée de la porte avant d'avoir le temps de se dégonfler et, essoufflée, s'exposa au regard scrutateur de Nott qui fronça les sourcils en cornant la page de son livre.

— Greengrass, commenta-t-il en le posant à côté de lui.

— Nott.

— Tu voulais quelque chose ?

Daphné se sentit tout à la fois poussée du haut d'une falaise, précipitée sur une scène et plongée dans des ténèbres épaisses.

— Je...

Nott plissa les yeux, elle baissa les siens.

— Tu ?

Sa voix agacée l'enferma dans l'immobilité. Parler, manier les mots pour obtenir ce qu'elle désirait, Daphné n'avait jamais su le faire. Elle s'était démenée comme elle pouvait, avec Pansy, sa mère, Astoria même, parfois. Mais Nott ?

Elle n'avait aucun code. Aucun indice sur le bout à saisir pour initier la conversation qu'elle avait appréhendée depuis les premières neiges.

Elle avait l'impression d'être larguée dans une ville nouvelle dont elle ne connaissait rien. Ou... Non, pas vraiment. Dans une ville, il y avait des rues, des chemins à choisir, des trottoirs à arpenter. Là ? Elle s'était elle-même plantée au milieu d'un terrain vague, sans indications, sans repères. Et Nott était partout, dans chaque caillou que raclait la pointe de ses chaussures.

Elle avait deux choix. Se perdre ou commencer à creuser.

Elle creusa.

— Je veux savoir comment tu fais.

Les mots furent si clairement articulés qu'elle s'étonna d'être celle qui les avait prononcés. Mais, de toute évidence, la perfection était encore loin, le regard de Nott s'étant fait perplexe.

— Comment je fais quoi ?

Daphné écarta stupidement les bras.

— Ça ! T'en foutre complètement de ce que sont devenues nos vies, arriver à lancer des sorts sur des gens qui n'ont rien demandé, et...

Elle s'interrompit. Elle ne savait même pas où allait son discours. Sans doute nulle part.

— Je veux que tu m'apprennes, lâcha-t-elle cependant, acceptant la fatalité.

— À quoi ? T'en foutre ?

Elle hocha frénétiquement la tête, ravie qu'il ait compris. Puis elle avisa le pli sévère de son front et se dit qu'il n'y avait peut-être pas de quoi être ravie.

— Je peux plus vivre comme ça, insista-t-elle. J'ai besoin d'être indifférente, de pouvoir voir le sang couler sans trouver tout le monde horrible, de me fondre dans la masse comme si tout était normal, comme avant, que...

Il l'interrompit :

— Il y a une faille, dans ton raisonnement.

Elle eut un mouvement de recul.

— Co – Comment ça ?

— Tu penses que je me fous de tout, n'est-ce pas ?

— Ce n'est pas le cas ?

Nott tourna la tête, faisant mine de se passionner pour le paysage. Daphné aurait trouvé ça normal si ce dernier n'avait pas déjà été dévoré par l'obscurité.

— Sans doute que si. Et c'est exactement pour ça que je ne vois pas pourquoi je t'aiderais.

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