Pincée de sel

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Petra travaillait d'arrache-pied dans la cuisine depuis plus d'une heure. Elle avait relevé ses cheveux en rapide couette, avait enfilé un tablier aussi vert que la couleur du bataillon, avait remonté ses manches, et s'était mise en tête de cuisiner un gâteau. Un simple gâteau au yaourt. C'était tout bête, mais pourtant elle le ratait à chaque fois. Elle se trompait dans les proportions,  le cuisait trop, puis pas assez, c'était un enfer dont elle n'arrivait pas à se dépêtrer. Elle avait promis un gâteau, toute l'escouade le savait, mais elle n'y arrivait pas.

"Ahhh... J'en ai marre!"

S'exclama-t-elle en frappant sur le comptoir, agacée de ne jamais réussir. Elle avait sur la table derrière elle toute une panoplie de gâteau ratés.

"Que t'a-t-il fait, ce comptoir?"

Demanda le caporal qui venait d'apparaître dans l'encadrement de la porte. Elle se retourna vite pour poser son poing sur son cœur. Il s'approcha de la table et pris une cuillerée d'un des gâteaux.

"Non, ne faites pas ça!"

Le supplia-t-elle, ne voulant pas l'empoisonner. Il l'enfourna dans sa bouche, mâchant lentement. Elle le regarda faire, médusée. Il planta ensuite son regard dans le sien, toujours aussi neutre.

"C'est infecte."

Son verdict était sans appel.

"Oui... Je sais, c'est pour cela que je vous avais demandé de ne pas y goûter...

- Tu mets trop de sucre, et pas de sel.

- Il faut du sel?"

Il leva les yeux au ciel, enleva sa veste, remonta ses manches, et attrapa un tablier pour l'enfiler rapidement. Il se lava les mains précautionneusement.

"Une poignée de sel dans chaque plat, même les desserts sucrés. Cela relève le goût."

Expliqua-t-il en cassant un œuf et en le vidant dans le saladier.

"Amène la farine.

- Bien, caporal."

Ils cuisinèrent tout le reste de l'après-midi, se coudoyant sans cesse le long du petit comptoir dans la petite cuisine. Petra mit la préparation dans le four et le caporal allumait le feu qui devait le chauffer.

"Combien de temps le laisserais-tu?"

Elle haussa les épaules, réfléchissant.

"Je fais au pif."

Le caporal leva encore une fois les yeux au ciel.

"Il suffit d'y planter régulièrement un couteau, pour voir si l'intérieur est cuit ou non."

Ils attendirent devant le four, observant par la vitre la pâte gonfler lentement.

"Caporal, vous cuisinez souvent, non?

- J'ai connu quelqu'un qui collectionnait des bouquins de recettes.

- Ah bon? Quand?

- Il y a plusieurs années.

- Vous étiez proches?"

Elle le regarda, les yeux ronds. Elle ressemblait à une enfant dont la curiosité venait d'être réveillée.

"On habitait ensemble.

- D'accord... Et donc il aimait bien faire la cuisine?

- Oui, mais on ne pouvait pas se permettre d'acheter beaucoup de nourriture.

- Ah... Mais maintenant, il cuisine encore?

- ... Non, il... a arrêté."

Comprenant que c'était un sujet sensible, elle se tut, préférant reporter son attention sur le gâteau.

Une remontée dans le temps (Rivetra)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant