Un si grand projet

Prologue

La silhouette gracile tournait sur la glace. Seule une légère clarté émanant d'une porte entrouverte permettait à la jeune femme de se déplacer sans danger. Elle était seule, enfin seule. Vêtue d'un collant blanc et d'un justaucorps, elle avait enfilé pour se protéger du froid, des jambières colorés et dépareillés ainsi qu'un cache cœur bleuté qui avait connu des jours  meilleurs. Elle se sentait bien, en paix avec elle même. "Le monde devrait toujours être aussi paisible" pensa-t-elle.  C'était son unique caprice, peut importe où elle se rendait, toujours avoir accès à une patinoire. C'était son exutoire, sa thérapie face à toute cette folie.

Quand sa vie lui avait-elle échappé ? à 34 ans elle se sentait lasse. Cela faisait maintenant près de 10 ans qu'elle menait cette vie, la vie d'une star mondialement connue. Au départ, elle était fière de ses succès, d'être reconnu dans la rue. Puis tout était allé beaucoup trop vite. De petits concerts intimistes dans les bars de village, elle avait rapidement été propulsée au devant des plus grandes scènes mondiales. Sa voix était un cadeau, elle en avait conscience mais au bout du compte, elle aurait aimé peut-être vivre autrement, rencontrer un homme bien, avoir des enfants. " Tu es ridicule, tu mènes une vie que peu ont la chance de mener. Tu vis dans des palaces, tu fréquentes les stars, tu as tout ! " Elle secoua la tête avec énergie pour évacuer toutes ses pensées stériles, faisant bouger avec vigueur sa crinière de boucles noires que seul Massimo, son coiffeur personnel, pouvait dompter. Animée d'une énergie soudaine née de sa frustration, elle accéléra son allure, appuyant de toutes ses forces sur ses orteils, sentant les muscles de ses jambes fines mais vigoureuses se contracter sous l'effort. Le souffle de sa course effrénée dans ses cheveux, elle eut un immense sourire de joie enfantine et rit aux éclats.

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Qui s'était permis de fouler sa glace ? Son territoire ? Thibaut Richard, ancien athlète de haut niveau en danse sur glace regardait avec agacement l'élégante silhouette. Arrivé tôt ce matin, il avait gravi l'escalier menant aux bureaux au dessus des gradins sans s'apercevoir de la présence d'un intrus. Ce n'est qu'après avoir pu obtenir un semblant de café de l'appareil antique qui trainait dans le bureau du coach de hockey qu'il avait perçu le mouvement sur la glace.

Il ouvrit sans ménagement la fenêtre du bureau donnant sur la patinoire pour crier : "Hé Vous, qui vous a permis d'entrer ? " 

La femme s'arrêta brusquement dans sa lancée en un freinage impeccable. Eut il été moins énervé, il aurait pût admirer la technique parfaite. Mais il était fatigué et sa seule envie était maintenant de jouir de cet espace glacé seul.

Il sentit la personne le regarder avec hésitation avant de la voir sortir précipitamment de la glace. Pestant, il reposa avec brusquerie son café sur le bureau et ce faisant en renversa la moitié de son contenu brulant sur ses mains. Jurant de plus belle, il se précipita dans l'escalier qu'il descendit trois marches à la fois puis longea en courant le bord de la patinoire. Il fallait absolument qu'il l'arrête pour comprendre comment elle était rentrée. Il était 5 heures du matin et personne n'était sensé arriver avant 8 heures. Lui seul profitait de ce lieu à ces heures matinales.

Il entendit une porte claquer avec vigueur dans le silence rompu par son souffle. Il atteignit cette même porte, pour ne trouver qu'un couloir vide au bout duquel  une seconde porte donnant sur l'extérieur se refermait avec fracas. Il jura une nouvelle fois, poursuivit sa course, agacé plus que jamais par la situation. "Qu'est ce qui lui prenait à s'enfuir ainsi ? " Ouvrant enfin la porte extérieure, il vit une élégante berline s'éloigner dans la nuit le laissant seul sur le trottoir. Il resta  immobile à fixer cette voiture jusqu'à ce qu'elle tourne au carrefour. Alors seulement, il retrouva ses esprits et pénétra dans son antre.