Le gazon bétonneux gorgé d'eau, le jeu des feuilles jaunâtres et des tranches de soleil de fin d'après-midi sur le sol pavé qui bave des pluies acides, le souffle d'Hélios qui pénètre par tout les pores et le frisson de sa caresse ; tout cela réuni, tout cela me fit plonger en une fraction de seconde dans le temps perdu. Je me retrouvais non pas à un endroit précis mais à plusieurs endroits où je vécu la même sensation. Tout ces endroits concouraient à cette mer de béton qui m'as enfanté et à tout ces moments vécus là-bas : les jeux d'enfants, les gros platanes à l'écorce écorchée, le Vieux Port qui déborde et les plages de galets où le vent grossier, sifflant et la profondeur soudaine de l'eau vous interdit d'y vous aventurer. J'y vois une dernière fois les volumes de la mer qui s'écrasent en écume et dans l'amertume de ne pas avoir pu ronger plus loin les roches grisonnantes. Et le souvenir s'efface, se retire, et retourne à leur mère.
Quelque chose s'est brisé en moi à ce moment-là. Au-delà de la nostalgie et de la douleur des moments perdus, j'ai senti un vertige dans tout mon corps, comme si le sol me rejetait, comme si j'avait perdu tout ancrage avec mon environnement, et plus généralement le monde. La ville, lorsqu'elle est une nouvelle famille d'accueil, reste indifférente, étrangère, absente de toutes vos sollicitations. Les lampadaires, froid phares, vomissent leur lumière sans âme et laisse mourir les hommes cabossés, aux mains crevassés, perdus dans des abîmes angoissés. Et on défile, on jette quelques regards à leur égard et on s'éloigne, hagards de la misère.
Je ne dis pas que là d'où je vient les choses sont différentes : au regard de l'étranger, du déraciné, le monde s'effondre sur lui et se reconstruit, toujours le même, immobile, austère. La naissance est ce qu'il y a de plus fâcheux pour certains : on vous plonge dans un bain putride qui vous corrompt jusqu'à l'os. Cependant, elle assure pour nous, résultat d'une loterie probabiliste inconsciente, un point de départ, une attache qui vous berce et vous initie à la doucereuse expérience de la vie, entre effroi et rêverie. Nausée et transcendance voici les états auxquels l'humain oscille dans sa durée de temps impartie, n'en déplaise à Schopenhauer. Il n'y a pas de bonheur car il est utopie, il y a toujours dépassement.
La contingence de l'existence m'a noyé dans des flots de douleur très tôt. Ceux qui sont endormis par le berceau de la civilisation m'ont toujours dit : Quand je suis seul je remets en question ma vie, mais j'en parviens à conclure que j'ai fait les bons choix. Quand j'ai des idées noires, j'essaye toujours de voir le positif, j'essaye de refouler tout ça, de pas y penser, de mettre tout ça loin de moi.
Il ya un passage très exact dans la Bible qui dit que la connaissance est synonyme de souffrance : elle l'est tout particulièrement quand l'on connait le retour du refoulé et comment l'esprit humain établit des stratégies pour contourner sa responsabilité et combler le vide de son être. L'Art dans sa fonction nouvelle, est devenu par la force du conformisme et de la technique scientifique, un divertissement, au sens auquel Montaigne l'entend. Mais moi je ne comprenais pas qu'on m'impose des règles dans l'art : l'art c'est faire ce que l'on veut. L'Art c'est la possibilité de la liberté de l'homme.La mer fut toujours pour moi, un horizon à conquérir, la possibilité d'une étoile de rêve dans le plafond céleste. Loin du chez soi, dans les terres d'exil, l'on sera toujours ramené au premier linceul, renaissance.