Chapitre 4 : La Question

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Le temps s'étirait depuis son départ du Valhalla. La nuit avait été longue et le jour s'était péniblement levé. Le Soleil avait longtemps rechigné à écarter sa lourde couverture de nuages. Il avait attendu que Ragnar ne soit pleinement déterminé à achever son voyage pour daigner se mettre à l'oeuvre. Mais depuis que la silhouette de Yidu avait rejoint les Ombres, le ciel n'avait eu de cesse de s'éclaircir. Sa lumière guidait les pas du Viking, qui ne prêtait pas plus attention à l'épuisement qu'aux crampes qui endolorissaient le moindre de ses muscles.

Ragnar avait traversé les bois denses, les plaines dépouillées et les vallées escarpées avant de retrouver ce décor qu'il ne reconnaissait que trop bien. 

S'il n'avait pas été mort, il aurait juré se trouver aux abords de Kattegat. Logé quelque part au coeur de la forêt, bordé par le vide,  aucun sentier ne menait jusqu'à cet endroit. Il fallait le connaître pour le trouver mais la peine qu'il demandait se trouvait toujours récompensée : nul autre point des bois n'offrait pareille vue sur le spectacle qui se jouait de l'autre côté des abysses rocheuses.

L'eau se jetait du haut de la falaise, la dévalait de toute sa hauteur, pour s'écraser avec force en contrebas. Déchaînée, elle rejoignait ensuite le torrent et poursuivait sa course furieuse à travers les bois. Ce n'est que bien plus loin que sa colère s'estompait dans le calme d'une rivière. Ce ne fut toutefois ni l'appel du vide, ni la beauté envoûtante de cette représentation qui figea Ragnar dans un frisson. 

C'est ici qu'il avait appris à prier le Dieu Chrétien.

C'est ici qu'il avait enterré son Ami.

C'est alors qu'il Le vit.

Assis dans l'herbe, ses jambes battaient le néant avec une certaine fébrilité. Sa chevelure bouclée s'accommodait de la brise. Sa tunique beige couvrait son corps toujours si mince, presque fluet si on le comparait à la plupart des guerriers bourrus de Kattegat.

Athelstan n'avait rien à voir avec eux. Il était si réfléchi, si spirituel, si sensible.

Il n'en demeurait pas moins brave. Pas moins vaillant au combat. Sans doute l'avait-il été plus encore, d'ailleurs. Ragnar n'avait pas oublié cette escarmouche au Wessex, où Athelstan n'avait pas hésité et lui avait sauvé la vie. Ce jour où il était devenu l'Un des Leurs. Tout semblait si simple, à cette époque. 

La présence du prêtre, à jamais cristallisée sous le vernis de la jeunesse, supplantait de loin le déchaînement si grandiloquent des chutes d'eau. Elles avait beau rugir, s'agiter et gronder, elles n'en restaient qu'un simple arrière-plan.

L'Ancien Moine semblait si apaisé que Ragnar n'osa pas l'approcher. Il craignait de rompre l'étrange communion qui unissait son ami avec cette réalité. De le voir partir en fumée comme dans tant de ses cauchemars.

Cet instant, Ragnar aurait aimé qu'il dure toujours.

Cet instant où il n'était pas encore repoussé. Où son coeur battait à tout rompre. Où tout demeurait encore possible.

Encore quelques pas, et il franchirait une porte, tandis qu'une infinité d'autres se refermeraient.

Et si Yidu avait eu raison ? Le jeu en valait-il réellement la chandelle ? Perdre définitivement son complice, après l'avoir trahi, était un risque. Un risque incommensurable qu'il hésitait à prendre. Dans cette vie, il n'y aurait aucun filet. Aucune branche à laquelle se raccrocher. Parvenu au bord du précipice, Ragnar devait se résoudre à avancer encore.

La tentation de ce remède, capable de construire d'autres réalités plus satisfaisantes, parut alors terriblement raisonnable.

Les membres de Ragnar s'engourdirent un peu plus quand Athelstan, à une dizaine de mètres de lui, soupira et se releva. A croire que le spectacle de la cascade avait fini par le lasser. Cet étalage de vie avait fini par le rendre indifférent.

I hope that someday our gods can become friends [Vikings Fanfiction]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant