Enfermés

Partie 2 : 15:15

Cela faisait deux minutes que nous fixions la barrière devant l'entrée du aven. Je ne pouvais m'empêcher de relire, pour la énième fois en 120 secondes, le message qui y était inscrit. Ou plutôt les 7 petits mots écrits au marqueur indélébile juste en dessous :

Interdiction d'entrer dans la Prison de la Reine sous peine d'une amende
Ou de ne pas en revenir vivant.

- Bah alors, on y va ? À moins que vous ne préfériez rester là, à regarder un panneau comme des imbéciles ? lâcha Thomas.

- Vous êtes sûr que c'est une bonne idée les gars en fait ? Personne ne sait qu'on est là en plus, et...

Mais Thomas ne laissa pas Swan finir et, contournant l'obstacle, il commença à s'encorder pour descendre en rappel : il accrocha son huit à la corde dont le bout disparaissait dans le gouffre, que nous supposons se trouver une trentaine de mètres plus bas. Puis, nous adressant un dernier salut de la main, se laissa tomber dans le vide, laissant l'obscurité l'engloutir.

- Je vous appelle une fois arrivé en bas, mauviettes, s'exclama notre ami.

Nous patientâmes. 2 minutes. 5 minutes. 10 minutes.

- Tout va bien en bas ? hurla Swan, à bout de nerf. T'es pas encore arrivé en bas ?

N'obtenant aucune réponse, il retenta, l'appréhension prenant possession de ses moyens :
- Thomas ? Tu nous entends ?

Toujours rien. Swan commençait à paniquer :

- Oh merde merde merde. Je savais qu'on aurait jamais dû venir ! C'était une très mauvaise idée, on sait rien sur cet endroit d'ailleurs, à part une vieille histoire de fantômes. Pas de topos, aucune carte... S'il faut, c'est super dangereux et absolument pas de notre niveau ! Et Thomas pourrait être en bas, blessé ou je sais pas quoi...

- Calme toi, ok ? Premièrement, la corde est toujours tendue. Ça prouve bien qu'il a pas fini de descendre, et ça m'étonnerais qu'il puisse se faire mal juste en se laissant glisser le long de la corde. Ensuite, tu savais très bien dans quel genre de jeu tu t'engageais en venant ici. Et je te rappelle que tu trouvais ça « super cool » d'explorer cet endroit à l'aveuglette.

Juste au moment où je finis ma tirade, je vis le filin se détendre et être agité de secousses.

La voix de Thomas nous parvint d'en bas :

- Oh mon Dieu les gars... Faut à tout prix que vous veniez voir ça...

- J'en ai marre que vous disiez tout le temps « les gars ». Je suis pas un gars moi ! bougonna Evy.

Mais je l'entendis lâcher un soupir de soulagement, heureuse qu'il ne soit rien arrivé à notre ami.

- C'est sans danger ? je demandai.

- T'inquiète, tocard. Y'a rien de dangereux ici à part des courants d'air. Allez, à toi.

Je serrai les dents à l'évocation du surnom, et, prenant mon courage à deux mains, entamai moi aussi la descente. J'allumai ma frontale pour y voir plus clair, mais la lumière était absorbée par l'obscurité ambiante. Même avec la luminosité la plus forte, j'avais quand même du mal à apercevoir le bout de mes pieds se balancer dans le vide.

J'eus l'impression de mettre plusieurs heures à atteindre le sol, bien que cela ne dura sans doute pas plus de temps que pour Thomas. J'observai les parois de la cheminée s'évaser pour former une énorme crypte souterraine. Je regardai, complètement ébahi, la splendeur de l'endroit.

De gigantesques stalactites et stalagmites se rejoignaient au fond, formant une orgue naturelle. J'avais l'impression de me trouver une église. Mais, comme dans tout lieu de culte, une atmosphère étrange se dégageait de l'endroit, me donnant l'impression d'être observé par une force supérieur.

Il était impossible de discerner précisément le fond du gouffre. De ce que j'en voyais, celui ci se rétrécissait petit à petit au centre, comme dans un maelstrom. J'entendais le souffle du vent monter du précipice, ainsi que le bruit de la mer s'écrasant contre le rivage.

Je finis par atteindre une sorte de palier assez étroit, et je me hâtai de décrocher mon huit du câble. Puis je criai le plus fort possible, « Libre, au suivant ! ».

J'entendis ma voix se répercuter à l'infini dans la grotte, comme un chant de bienvenu. Dirigeant mon regard vers une partie du mur, je remarquai qu'il y était inscrit quelque chose, que le temps avait pratiquement effacé :

Ici repose la Reine Marie, condamnée à y rester enfermée jusqu'à sa mort pour son infidélité au Roi et à la Couronne.

M'approchant légèrement de la parois, je remarquai la couleur légèrement brunâtre de l'encre. M'attendant à que se soit sec, j'y trempai le bout des doigts avant de les retirer, taché de cette substance poissarde à la senteur métallique. Du sang.

Brusquement, je sentis une main m'attraper le bras. Je tentai de me débattre et de donner des coups à la chose qui me retenait de force.

- Calme-toi man, c'est juste moi.

Je respirai un bon coup en reconnaissant le ton grave de mon ami d'enfance.

- Putain ! Tu m'as fait flipper !

- Je sais... C'était le but, me répondis Thomas avec un sourire légèrement sadique.

Je lui donnai un coup sur l'épaule pour me venger, devant me mettre sur la pointe des pieds pour l'atteindre. En retour, il éclata de rire, me laissant entrevoir toute l'étendue de mon absence de force.

- J'étais là-bas, me reprit-il en indiquant un escalier naturel tournoyant autour du gouffre et descendant en direction des Enfers. Je pense que, si on emprunte ce passage, continua-t-il, on pourra atteindre le dernier niveau de la Prison. Il me fixa droit dans les yeux. Où repose la Reine, me susurra-t-il.

- T'es con, mec. Je crois pas à cette légende de village.

Je jetai un coup d'œil à l'inscription, convaincu que c'était Thomas qui l'y avait inscrite dans le but de nous faire peur. Puis je sentis la température baisser de 10°C, et je vis mon souffle former un nuage de vapeur devant moi.

- Insulte pas Son Altesse mon gars... Elle pourrait te le faire payer très cher.

Je le regardai en souriant avec amusement et en secouant la tête de droite à gauche, avant de faire un pas en arrière. J'entendis comme un craquement au moment de poser mon pied par terre. Surpris, je le retirai et baissai les yeux.

Les orbites vides du crâne que je venais d'écraser me fixait par delà la mort, et je lâchai une exclamation horrifié. Puis je relevai la tête et remarquai que le sol était jonché de squelettes. Les précédentes victimes de la Reine.