Chapitre 3

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ROSIE


La sensation d'étourdissement et d'engourdissement me quitte à mesure que je m'habille dans ma chambre. J'enfile un pull noir, reflet des journées froides d'hiver. Je tente de dompter ma crinière rousse devant le miroir de la salle de bain, puis j'opte pour une queue de cheval haute.

Plus tard, lorsque je descends les escaliers, tout le monde semble rassuré en me voyant sourire franchement. Je me sens beaucoup mieux, je ne pense même plus au cauchemar. Il est chassé de mon esprit. Pour toujours, je l'espère.

C'est Mike qui nous conduit au lycée, dans sa vieille Toyota Corolla rouillée. Auparavant, elle était complètement grise. Maintenant, elle est décorée par des taches orange, mais elle roule encore, c'est le principal. Je boucle ma ceinture et attends que mon frère finisse d'écrire à sa petite amie par texto avant de déposer son portable dans le porte-gobelet et de démarrer l'engin.

Je contemple le paysage qui défile du coin de l'œil. La nervosité me noue l'estomac. Je ne suis pas allée au lycée depuis la semaine passée. Jeudi dernier, j'ai rompu avec Elliot, qui était mon petit copain depuis l'été dernier, lors d'une fête. Je me suis un peu coupée du monde ce week-end, ne parlant qu'à quelques-unes de mes amies. Je ne sais pas trop comment Elliot a pris la nouvelle, ni si cette dernière a fait le tour du lycée. Je ne veux pas être la bête de foire que tout le monde reluque du coin de l'œil.

Elliot a pourtant tout pour plaire ! Une chevelure blonde où des reflets dorés persistent, des yeux bleus pétillants, une bouche en forme de cœur munie de lèvres rosées. Mais... ça ne fonctionnait juste plus entre nous deux. Lui, il aime le foot et s'entraîner, alors que je préfère mes livres et mes écouteurs. Ce n'est peut-être pas une raison... Cependant, je ne me voyais pas bâtir un avenir avec lui, alors que je savais que lui désirait cela.

J'espère simplement qu'il ne m'en voudra pas trop.

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— Alors ? C'est vrai que t'as trompé Elliot ? s'exclame July en se rongeant distraitement un ongle dès que j'arrive à mon casier.

Mes yeux s'écarquillent alors que la porte métallique me glisse presque entre les doigts. Je contemple la brune, puis j'opte pour une réponse monosyllabe qui démontre néanmoins toute mon incompréhension.

— Quoi ?

— J'en conclus que c'est faux.

Estomaquée, je la fixe pendant quelques secondes avant d'éclater de rire. Cependant, mon rire reflète ma nervosité et mes mains tremblent légèrement. Mon esprit tourne à cent kilomètres à l'heure.

— Qui t'a dit des trucs comme ça ?

Elle hausse ses épaules frêles.

— On en parle, tout simplement. On raconte que tu as trompé Elliot, qu'il l'a découvert et t'a plaquée.

Je ne sais plus si je dois rire ou pleurer en remarquant son air sérieux. Seigneur... il a vraiment été jusqu'à raconter des sottises à tout le monde ! Son orgueil a dû être atteint quand j'ai décidé de mettre fin à notre relation. Bien entendu, pour lui, c'est bien plus facile de me faire passer pour une garce et lui comme le bon garçon, celui qu'on doit prendre en pitié.

Je serre mes jointures sur la porte du casier.

— Où est-il ?

— Qui ?

— Elliot ! Où est-il ? demandé-je en détachant chaque mot.

— Euh... je sais pas trop.

Elle se gratte le fond de la tête et je sais qu'elle ment.

— Ne joue pas à l'idiote, ça te va pas bien. C'est lui qui t'a envoyée ? Il veut se payer ma tête ?

— Rosie...

— Quoi ?

Ma voix siffle et quelques têtes se retournent sur leur passage, nous dévisageant curieusement. Comme s'ils ne savaient pas ce qui se dit à mon sujet ! Le lycée entier ne doit parler que de ça ! La honte me frappe telle une horrible gifle.

— Mais calme-toi, putain !

Hors de question ! La rage bouillonne dans mes veines, demandant à être extériorisée. Je n'arrive pas à croire qu'il ait pu me faire un coup pareil ! J'ai atteint son orgueil de mec, je le comprends, mais il n'a pas besoin d'agir en connard.

Avec force, je claque la porte de mon casier et m'éloigne rapidement dans le corridor. Je ne sais pas où se trouve Elliot, mais je compte bien le trouver. Notre lycée n'est pas trop grand, je ne devrais pas avoir trop de mal. Des têtes se retournent sur mon passage, des chuchotements se font entendre et je serre les poings avec force. Qui aurait cru que j'aurais pu tomber bas à ce point en l'espace de quelques jours ?

Du coin de l'œil, je vois sa chevelure blonde. Adossé contre la porte de son local, il ricane avec des potes. Il rigolera moins quand il me verra...

J'apparais dans son champ de vision et son visage se décompose légèrement, mais il se reprend rapidement, le petit con ! Il fait un signe du doigt et Amy s'approche de lui, lui effleure le bras. Je le vois ensuite se pencher pour l'embrasser. Tout le monde se tourne vers moi comme un seul homme, cherchant une réaction quelconque dans mon expression, dans mon regard. Je sais que mes yeux sont froids, dénués d'émotions. Je le sens. Je suis à deux doigts de prendre sa tête et de la frapper avec force contre la vitre du local quand je sens des doigts agripper mon avant-bras. Je me tourne, mes yeux brûlant d'une haine sans merci, et j'aperçois mon frère. Il est déjà au courant. Dans un petit village dans le centre des États-Unis, notre lycée ne compte que trois cent âmes, et tout se sait en criant lapin. Ou salope, dans mon cas. Car c'est ce qu'ils pensent tous de moi, maintenant. Ils pensent tous que j'ai trompé Elliot. Pourquoi prendre la peine de me demander ma version de l'histoire, alors que celle que leur donne Elliot sur un plateau d'argent est juteuse à souhait et remplie de revirements de situation qui pourraient tous les faire saliver ?

Nous sommes tous comme ça. La nature humaine cherche le divertissement, quand ça ne les concerne pas. Nous sommes égoïstes.

Sous le feu des projecteurs, je m'approche d'Elliot, qui relève la tête. Je sens la poigne de mon frère qui se défait. Rendue à sa hauteur, je balance ma main qui atterrit avec force sur sa joue. J'entends un hoquet de surprise à côté de moi. Amy me dévisage de ses grands yeux verts.

— Tu le trompes et tu oses t'en prendre à lui ?

Je m'approche lentement d'Elliot.

— Ose dire encore un mensonge à mon sujet et...

— Et quoi ? ricane-t-il, se sentant fort, entouré de tous ses amis. Tu vas me frapper ? Tu vas le dire à ton papa ?

— Je vais faire bien pire que ça, susurré-je.

— Ah oui ? J'ai bien hâte de voir ça ! En attendant, continue ton chemin, salope !

Je plisse les yeux, puis aperçois le directeur qui s'approche de nous. Ne voulant pas m'attirer des ennuis, je m'éloigne à reculons et me sauve. Mes pas martèlent le sol et je me réfugie dans la salle de bain des filles. Mais je n'ai pas dit mon dernier mot.

N'empêche, toutes ses émotions font leur chemin jusqu'à mon âme, et des larmes s'écoulent de mes yeux. Je les essuie rageusement. J'inspire profondément. J'essaie de penser rationnellement : je suis capable de surmonter ça, j'ai vaincu bien pire déjà. Ce n'est rien, on est des adolescents, ça ne veut rien dire, tout ça. Bientôt, ça sera de l'histoire ancienne.

Je ne savais pas à quel point j'avais raison. Bientôt, rien de tout ça n'aura de l'importance. Mais pas pour les raisons que je croyais.

Ombre Mortelle Tome 1 : Sacrifice [Sous contrat d'édition]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant