3.

1.5K 210 55
                                    


Deux ans étaient passés depuis que Dazai avait quitté la Mafia. Chuuya avait réussi à prendre de la distance avec sa défection, malgré tout –malgré ses souvenirs du Soukoku, malgré le fauteuil vide, dans la salle de réunion des capitaines, qui témoignait de son absence ; malgré les commentaires de Mori et les anecdotes de Kouyou, malgré Akutagawa.

Ce n'était pas tous les jours facile. Les petits nouveaux ne manquaient pas d'ouvrir de grands yeux en demandant s'il était bel et bien l'autre moitié de Soukoku, le fameux duo qui avait éradiqué une organisation entière en une nuit. Chuuya se rappelait de cette nuit-là, du regard calme et passionné de Dazai brillant dans l'obscurité, de son sourire, aussi ; mais en général, il s'efforçait de ne pas y penser. Ce genre de souvenir ne lui servait à rien à part à lui faire mal.

Deux ans, donc, et il était paisiblement installé dans le bureau des Lézard Noirs en train de siroter un verre de bon vin –une bouteille offerte par Kajii en guise d'excuse pour avoir fait exploser la moitié de son bureau. Il se sentait bien, à cet endroit –avec Hirotsu qui fumait tranquillement près du feu, Gin qui affûtait ses lames et Tachihara en train de râler sur la paperasse.

Akutagawa entra à ce moment-là, suivi de près par Higuchi, et tous les regards convergèrent vers eux. Le long manteau noir du chien de la Mafia était humide et gouttait sur le tapis.

-Senpai ! piaillait Higuchi. Il faut aller à l'infirmerie !

-Le rapport d'abord, trancha Akutagawa en la poussant hors de son chemin.

Chuuya soupira. Voilà qui commençait bien.

-Tu es blessé ? lança-t-il avant qu'Akutagawa ne commence à raconter sa mission.

-Non.

-Si ! insista Higuchi en empoignant sa manche (Akutagawa la dégagea aussitôt). Senpai a été électrocuté !

-Higuchi, ferme-la.

Chuuya haussa un sourcil. Il était rare pour Akutagawa de se faire blesser en mission –si Rashomon ne lacérait pas immédiatement ses ennemis, du moins avait-il de la ressource pour se défendre. Les balles ne l'atteignaient quasiment plus, les lames et la force brute pas davantage ; il avait fallu quelqu'un de rusé pour le toucher.

Un horrible soupçon naquit dans le cœur de Chuuya. Les lèvres soudainement sèches, il demanda :

-C'était... lui ?

Il avait su, de loin, que Dazai avait été impliqué dans cette affaire –qu'il avait rejoint une agence de détectives armés sur le même coup. La nouvelle l'avait affecté sans qu'il ne le reconnaisse, la pointe de jalousie de savoir que Dazai avait retrouvé un groupe, une famille, après avoir lâchement abandonné la première. Qu'il recommence à zéro, comme ça, dans un camp adverse. Qu'il renie tout ce qu'il y avait eu avant –Mori, la Mafia, Chuuya.

Akutagawa secoua négativement la tête en enfouit ses mains dans ses poches. Il n'avait pas l'air trop secoué pour quelqu'un qui sortait d'une électrocution.

-Non, ce n'était pas lui, Chuuya-san.

Il attendit une seconde, et riva ses yeux sans fond dans ceux de Nakahara avant de déclarer, très sérieusement :

-C'était son partenaire.

Son partenaire. Les mots résonnèrent d'une drôle de manière aux oreilles de Chuuya. Dazai avait trouvé quelqu'un d'autre à qui s'allier, un nouveau collègue, un nouveau duo.

Soukoku était donc mort pour de bon ?

-Kunikida Doppo, précisa Akutagawa. Un grand blond à lunettes, dont le pouvoir est de faire naître des objets de son carnet. Plutôt habile au combat, j'ai été agréablement surpris.

Chuuya s'en fichait. Chaque information sur cet autre homme –le nouveau partenaire de Dazai, celui qui avait pris sa place- ne faisait qu'apporter son lot de jalousie et de haine. Et à cela s'ajoutait le fait qu'il s'en veuille d'être encore affecté par ce que faisait ce fichu thon bleu.

-D'accord, dit-il froidement, et sa voix lui parut lointaine. Je lirai ton rapport. Merci de m'avoir prévenu.

Il sortit de la salle sans demander son reste, toute idée de confort ou de détente oubliée, hanté qu'il était par ses pensées. Dazai avait trouvé quelqu'un d'autre, un nouveau partenaire, alors que Chuuya, égoïstement, avait cru que personne ne pourrait tenir ce rôle à part lui. Ce n'était plus Soukoku, ce n'était plus Chuuya et Dazai ; désormais, c'était Dazai et Kunikida.

A travers ses dents serrées, Nakahara ne put s'empêcher de maudire Dazai de l'avoir remplacé.

Cinq fois où Chuuya maudit Dazai...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant