Quand Chuuya se réveilla, il crut que sa tête allait exploser.
Il avait encore trop bu la veille. Beaucoup trop bu. Il essaya de retracer le parcours de sa soirée, cherchant à savoir s'il avait fait des conneries majeures.
Il avait achevé sa journée de travail sur une réunion longue et barbante, rallongée par les extases épisodiques de Mori sur Eris, et il faisait nuit quand ils étaient sortis. Ils avaient improvisé un restaurant tous ensemble, qui n'avait pas été de tout repos –Chuuya avait bien cru qu'il allait devoir mettre lui-même la nourriture dans la bouche d'Akutagawa, et Kajii avait saccagé le plat principal en essayant d'y mélanger divers... ingrédients pas tout à fait identifiés. Mais cela n'était rien de plus que de la routine, et tout compte fait, c'était un bon moment.
Ensuite, ils s'étaient orientés vers le bar d'à côté, déjà bien entamés par le sake du restaurant... et ils étaient tombés sur les détectives qui passaient leur soirée là. Chuuya aurait pu prédire que la salle allait se transformer en bain de sang –la docteur s'était jetée sur Kajii avec une machette, le tigre n'avait pas eu le temps de sortir ses griffes qu'il était empalé à dix-huit endroits différents, et une fille quelconque se précipita sur Higuchi pour lui tirer les cheveux sous prétexte qu'elle avait blessé son frère. Un beau carnage, en soi, jusqu'à ce que le lunetteux fasse apparaître une fumigène de son carnet et ne force tout le monde à se calmer.
-Tiens, mais qui voilà ? lança un Dazai très détendu, toujours assis sur son siège et avec un grand sourire.
Il n'avait pas changé depuis la dernière fois que Chuuya l'avait vu –expression d'autosatisfaction arrogante qui donnait envie de mettre son poing en plein dedans, bandages autour des poignets, voix insupportable de sucre et de surprise feinte.
-Dazai-san ! s'écria Akutagawa, saisi.
Chuuya lui attrapa la manche par sûreté –il ne savait pas trop si le jeune homme avait pour ambition de tuer Dazai ou de se jeter à ses pieds, mais ni l'un ni l'autre n'était propice à l'atmosphère de la soirée.
-Qu'est-ce que tu fous là ? grommela Chuuya en se plaçant devant son petit groupe.
A son grand dépit, ce fut le blond à lunettes qui lui répondit formellement :
-Nous étions en train de boire un verre pour célébrer la fin d'une affaire importante.
-C'est possible de le faire sans tous s'entretuer ? s'éleva une nouvelle voix.
Chuuya ravala son sarcasme. C'était le président de l'agence en personne, Fukuzawa ; pas question de se le mettre à dos. Pas sans Mori, en tout cas. Jetant un œil à Atsushi qui se remettait tant bien que mal et à Kajii qui frottait son bras ensanglanté, il prit le parti de répondre :
-Ouais. Ça peut se faire. Venez, on va par là.
Un peu de distance ne pourrait être que profitable pour que tout le monde finisse par passer une bonne soirée et rentrer en vie. Ils s'ignorèrent mutuellement, et cela fonctionna parfaitement jusqu'au moment où Akutagawa se mit à cracher ses poumons.
-Senpai ! s'écria Higuchi.
-Je m'en occupe, assura Chuuya.
Le laisser sous les soins d'Higuchi ne ferait que l'asphyxier encore plus, alors autant lui épargner ça. Une issue de secours se trouvait à quelques mètres de leur table, et ils sortirent là pour se retrouver dans une petite ruelle.
-Tiens.
Chuuya fourra un mouchoir dans les mains d'Akutagawa le temps qu'il finisse de tousser.
-T'as été voir un médecin comme je te l'ai dit ?
-N-Non, hoqueta le jeune homme.
Il écarta le mouchoir de son visage, et Chuuya ne manqua pas les taches de sang qui le parsemaient désormais. Akutagawa lui retourna un regard dépité :
-Je vais le laver.
-Non, c'est bon. Le vrai problème, c'est que si tu ne fais pas plus attention...
-Ah, certaines choses ne changent jamais ! s'écria alors une voix qu'ils reconnurent tous les deux.
Dazai se tenait là, adossé contre le mur avec le même sourire joueur. Etait-il là avant eux ? Les avait-il suivis ? Chuuya se mit immédiatement sur ses gardes.
-C'est quoi ton problème, le thon ?
-C'est peut-être toi mon problème, minipouss.
Akutagawa ouvrit la bouche, mais jugea pour une fois plus sage de se taire et préféra rentrer, possiblement pour voir s'il pouvait essayer de tuer le jinko en l'absence de Dazai.
-Tu fais quoi là ? Tout seul dehors ? relança agressivement Chuuya.
Dazai lui avait sourit d'un air malicieux avant de sortir une bouteille de nulle part.
Le reste était assez trouble. Chuuya se souvenait qu'ils avaient bu, beaucoup bu, beaucoup plus que de raison. Il n'avait plus souvenir d'avoir revu ses collègues de la Mafia –il avait dû finir la bouteille avec Dazai, mais à quel moment... ?
Un flash traversa sa tête. Il ne savait plus quand ni comment, ni qui avait commencé, mais il avait la certitude que Dazai et lui s'étaient embrassés plaqués contre un mur. Une vague de rougeur couvrit aussitôt ses joues tandis que les souvenirs refluaient –les lèvres de Dazai contre les siennes, son odeur, ses mains dans ses cheveux et... Oh non, non, non.
Il l'avait ramené chez lui.
Cela l'horrifiait pour deux choses ; d'une, un mafieux ne révèle jamais où il habite, et Chuuya avait préservé le secret jusque là, même de Dazai, et surtout de Dazai d'ailleurs, pour éviter les petites visites à l'improviste. De deux, ils avaient couché ensemble. Et ça, c'était absolument le pire scénario possible.
Nakahara tenta de refouler toutes les visions qui lui revenaient de la nuit, préférant les enterrer pour toujours. C'était une erreur, une grosse erreur, la pire erreur qu'il puisse faire-
Pour un mafieux.
Pas pour Chuuya.
Il avait beau savoir que c'était interdit et que ça lui porterait préjudice... il ne pouvait pas nier avoir aimé. Il ne pouvait pas nier avoir attendu ce moment depuis quelques temps, y avoir pensé parfois, même à l'époque où Dazai était encore des leurs. Et à présent, maintenant que Dazai en était conscient, peut-être pouvaient-ils... réfléchir à ce qu'ils étaient vraiment ? A ce qu'ils pouvait être, à poser des mots sur tout cela ?
Il avala sa salive, et se retourna pour voir l'autre côté du lit. Qu'espérer ? un Dazai tranquillement assis contre le tête du lit, toujours avec le même sourire ? Un « Salut, limace. Bien dormi » ?
Rien de tout cela. Les draps étaient vides.
Chuuya se leva, passant rapidement un peignoir. Peut-être était-il dans la salle de bains ou dans la cuisine, même s'il ne comptait pas trop sur un petit déjeuner... Mais son appartement était vide, complètement vide, et même lorsqu'il appela, aucune réponse ne lui parvint.
Peut-être que c'était une blague, que Dazai allait surgir pour lui faire une surprise, mais Chuuya dut bientôt se rendre à l'évidence. Il était parti.
Nakahara eut l'impression de prendre une douche glacée.
Dazai, Dazai pour qui il avait des sentiments, Dazai avec qui il avait passé la nuit, qu'il avait embrassé, qu'il avait ramené chez lui, Dazai l'avait laissé là pour partir comme un voleur ; laissé là avec tous ses espoirs à moitié formulés, prêt à tenter quelque chose, à s'engager... et laissé à réaliser que ce n'était qu'un coup d'un soir.
Pendant un bref instant, il crut perdre le contrôle. La moitié de ses meubles vola à travers le salon sous le coup de son émotion, et il resta là, debout tout seul à regarder les ruines de son buffet.
-Je te déteste, Dazai. Putain, qu'est-ce que je te hais !
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Cinq fois où Chuuya maudit Dazai...
Fanfiction... Et une où il le remercia d'être là. Soukoku.