cause they're gay

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Arsène n'est plus à l'autre bout du jacuzzi, maintenant. Il est proche, bien trop proche ; mal à l'aise, l'adolescente décide de s'éloigner, pour rétablir l'écart initial. Ou du moins essayer.

– Chiara, avant qu'on parte, il faut que j'te dise un truc.

– Tu me fais peur.

Secrètement, elle espère qu'il la prenne au mot et n'aille pas plus loin. Il ne doit juste pas être très doué pour lire entre les lignes.

– Y a pleins de gens qui pensent qu'on irait bien ensemble.

– Et alors ?

Elle s'écarte un peu plus, les bras en croix contre sa poitrine, comme un bouclier. Elle panique, sans pouvoir s'en empêcher.

– Et tout le monde pense que tu me... enfin que je te plais.

– Quoi ?

C'est le retour de la voix haut perchée. Elle a le cerveau qui carbure à toute allure, pendant qu'elle fouille dans sa mémoire, à la recherche d'une piste, d'une fois où elle aurait pu laisser imaginer une quelconque attirance. Elle en oublie que les gens n'ont pas besoin de preuves, pour se faire des idées.

Arsène se gratte l'arrière du cou, le regard fuyant, soudainement. Et quand il reprend la parole, Chiara reste figée, le regard fixé sur ses lèvres. Elle est persuadée qu'il va se confesser et n'a aucune idée de la réaction à avoir, si ça arrive pour de vrai.

– Bref, voilà, c'est gênant mais fallait que j'te dise... si c'est vraiment le cas, c'est... enfin... je veux pas te vexer, mais c'est pas réciproque. Pas que tu sois pas belle, hein ! Ou sympa ! T'es vraiment une fille bien et je t'apprécie beaucoup, mais ça va pas plus loin, t'es juste... pas vraiment mon genre... Désolé.

– Oh mon Dieu.

Elle lâche ces trois mots dans un soupir. La surprise laisse la place au soulagement. Quand la pression s'évapore, elle se sent à bout de force, exténuée.

Et une fois de plus, elle a l'irrépressible envie de pleurer.

– Tu m'en veux pas ?

– Bien sûr que non, Arsène. J'aime les filles.
– Quoi ?

– Merde, euh, j'étais pas censée dire ça.

Elle pourtant habituée à cacher son attirance, feignant une hétérosexualité crasse, se retrouve à lâcher son secret sans la moindre hésitation. Ce qui ne l'empêche pas de culpabiliser. Elle essaie de se convaincre que son ami est trop gentil pour l'insulter, qu'il n'ira pas l'humilier devant les autres. Peut-être même acceptera-t-il de garder le secret ?

De toute manière, elle le sait, elle n'a pas cessé de se le répéter toute la soirée : dès la rentrée, elle perdra contact avec la majorité de ses camarades. Alors ce n'est probablement pas si grave, s'ils sont au courant maintenant. Mais elle a quand même peur. Elle sait que la vie n'est pas forcément belle, pour les personnes homosexuelles et elle n'est pas assez naïve pour espérer passer entre les mailles du filet. Elle espérait juste se laisser assez de temps pour se préparer au rejet, avant de faire son coming-out.

Lentement, elle lève la tête vers Arsène, toujours silencieux. Elle cherche son regard, essaie d'interpréter la lueur dans ses prunelles.

– Dis quelque chose, pitié.

– J'me sens ridicule avec mon p'tit discours.

– Ah... effectivement.

– Et je...

– Oui ?

– T'es gay ?

– Lesbienne, oui.

– Putain.

– Je t'aime bien, Arsène, mais je resterai pas là à t'écouter m'insulter.

Elle essaie de parler d'un ton déterminé, de supprimer les tremblements dans sa voix. Mais intérieurement, elle est déjà en train de se liquéfier. Elle ne sait pas si elle est capable de se lever maintenant, de s'enrouler dans la serviette, de rejoindre la maison. Et le tout sans s'effondrer, sans claquer des dents. Pire que ça, elle se sent vidée de son énergie. Impossible de se lever. Autant pour la sortie royale.

– C'est pas du tout ça ! Merde, désolé, je m'y attendais juste pas, mais...

Elle secoue la tête, fait voler des gouttes. Elle ne veut pas entendre ses excuses, elle a peur de ce qu'il pourrait dire.

– Attends, laisse-moi parler, c'est... Chiara ? Je suis gay.

Elle écarquille les yeux. L'ascenseur émotionnel grimpe d'un nouvel étage, ne fait rien pour soulager son épuisement. Elle est vidée de tout, ne sait même pas comment réagir. Sans s'en rendre compte, elle recommence à se gratter les bras.

Et quand son regard croise une nouvelle fois celui d'Arsène, elle éclate de rire, aussi simplement que ça. Il l'imite et l'ambiance s'allège immédiatement. Cette fois, leur fou-rire est bien plus long, presque hystérique. Ils ne parviennent pas à se calmer, ne veulent pas particulièrement, non plus.

Chiara lève une main tremblante pour écraser une larme qui perle au coin de sa paupière. Pendant plusieurs minutes, elle repart en éclat de rire dès qu'elle parvient à s'arrêter. Le minuteur d'Arsène sonne, il s'éloigne pour l'éteindre ; mais les deux restent dans le jacuzzi, la gorge brûlante, les joues douloureuses et l'estomac retourné.

Une main sur le thoras, Chiara essaie de reprendre son souffle. Elle essuie ses larmes, oubliant momentanément que ses mains sont de toute manière trempées.

– J'arrive pas à y croire.

La phrase sort curieusement de sa gorge enrouée. Elle sait qu'elle souffrira le lendemain, mais décide de ne pas y penser.

– Moi non plus.

– T'es gay.

– Toi aussi.

– On est gays.

– Meuf ? On est gays.

Il ne leur en faut pas plus pour partir dans un nouveau éclat de rire.

Cette fois, quand ils parviennent enfin à se calmer, ils décident de sortir du jacuzzi. Chacun s'enroule dans sa propre serviette, avant de s'arrêter, l'un en face de l'autre. Le malaise ne dure qu'une poignée de seconde, avant qu'Arsène ne se mette à sourire ; et Chiara ne tarde pas à le lui rendre. Ils se regardent droit dans les yeux, les prunelles étincelantes de leur toute nouvelle complicité.

Sous le ciel étoilé, dans la lueur de la lune qui se reflète sur l'eau chaude, ils s'observent en silence. Ils n'ont plus besoin de parler, maintenant qu'ils ont mis les choses à plat.

Et dans l'ambiance surréaliste de cette soirée toute aussi irréelle, Chiara cesse de craindre l'avenir. Parce que c'est en regardant Arsène qu'elle comprend que, peu importe ce qui se passe, elle pourra compter sur lui le temps qu'il faudra. Et s'ils finissent par s'éloigner, alors ce n'est pas grave ; elle aura au moins connu une fois une telle amitié. Et ça lui suffit.

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Et voilà, c'est la fin de 5 feet !
Première histoire que je finis sur wattpad (même si elle est hyper courte) donc je suis super contente !
Pour la petite anecdote : à la base je me suis dit que ce serait drôle de reprendre des codes du roman d'amour, avec une fille et un gars qui se rapprochent, que tout le monde shippe, mais qui en fait... sont gay et lesbienne  (ça + la fameuse vidéo youtube "2 bros chillin in a hot tub 5 feet apart cause they're not gay" qui me fait beaucoup trop rire)
En tout cas, j'espère que cette mini histoire a plu <3

5 feetWhere stories live. Discover now