L'attente

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Je suis dans la cuisine depuis une éternité. Un coup d'œil à ma montre m'indique qu'en vérité ça fait à peine trente minutes. D'ordinaire à cette heure-ci c'est l'effervescence. Je donne son bain à Clara pendant que Clémentine prépare notre repas. Ou inversement. Puis le dernier biberon de la journée et c'est déjà l'heure du coucher. Ce moment privilégié on aime le partager. On peut passer des heures à regarder notre fille dormir. Observer ses petits poings serrés et ses lèvres qui s'entrouvrent au rythme de sa respiration apaisée. Tellement lente parfois qu'on se rassure en accueillant sur un de nos doigts le souffle chaud qui s'échappe de ses narines.
Ce soir je suis désemparé. Je n'ai rien à faire. Pire, je ne peux rien faire. J'appelle mes parents pour les prévenir. Ils veulent venir mais je les dissuade. A quoi bon ?
Il faudrait que je monte voir Clémentine. M'assurer qu'elle va bien. Mais je connais trop la réponse. J'ai peur de lire la douleur dans ses yeux. Parce que je sais que son visage n'est que le reflet du mien. Néanmoins je me fais violence et me dirige vers l'étage. On doit rester soudés. Si on se lâche maintenant on est fichus.

Elle n'est pas dans notre chambre. Évidemment elle s'est réfugiée dans celle de Clara. La pièce est plongée dans le noir. Je ne la vois pas au premier abord mais distingue finalement son visage éclairé par la lueur vive de son téléphone qu'elle tient devant elle. Ça lui donne une allure fantomatique troublante dans l'obscurité. Elle est assise à même le sol entre le lit et la table à langer.
J'actionne l'interrupteur de la veilleuse de Clara sur la commode et m'installe à côté d'elle tandis qu'une constellation d'étoiles s'imprime sur le plafond.
Sans un mot, elle pose son téléphone et encercle ma taille de ses bras avant de reposer sa tête contre mon épaule. Je suis soulagé. Je ne sais pas pourquoi j'avais peur qu'elle me rejette. Comme si le fait d'avoir engendré Clara me rendait responsable de tout ce qui lui arriverait, maintenant et à jamais, le meilleur et le pire. Je l'entoure de mes bras et dépose un baiser sur son front.
Nous ne pleurons plus. On attend.

Soudain la sonnerie de mon téléphone envahit la chambre. Mon sang ne fait qu'un tour et je sens Clémentine se crisper. Je crois qu'elle entre en apnée. Fébrile, je sors l'appareil de ma poche.
Maman.
Clémentine expire, ferme les yeux et s'appuie contre le mur derrière nous. J'hésite à répondre. Mais je connais ma mère, elle insistera. Je fais glisser mon doigt sur l'écran pour prendre l'appel.
— Maman... Je vous préviendrai dès qu'on aura des nouvelles. Mais en attendant s'il te plaît... On attend un appel de Martin, je ne veux pas risquer de le louper. Je... A plus tard.
Je raccroche.
Je sais que j'ai été dur avec elle. Ils sont dans l'attente eux aussi. Mais je n'ai pas le courage d'entendre leurs inquiétudes. Tout ce qui m'importe en ce moment c'est Clara. Et sa mère, qui enfonce ses ongles dans ma cuisse.

Ma mère aime Clara comme le troisième enfant qu'elle n'aura jamais. Pourtant elle a mal accueilli la nouvelle au départ. Quand on lui a annoncé que Clémentine était enceinte ça a été un choc pour elle. Il faut dire qu'à ce moment-là elle espérait toujours que je ne ferais pas ma vie avec Clémentine.
Avec le recul je peux comprendre. Après notre folle aventure alors que j'étais encore au lycée et notre séparation parce qu'elle était mariée et moi stupide on ne devait pas renvoyer l'image du couple parfait. Mais notre amour était trop fort. On a essayé de lutter, de s'oublier, de se faire du mal même, mais c'était peine perdue. J'ai eu mon bac, on s'est moins vus et le manque a commencé à nous ronger. Quand au détour d'une conversation j'ai surpris ma mère apprendre à une amie que Clémentine et Olivier divorçaient j'ai ressenti un espoir insensé. J'ai pris ça comme un signe qu'on devait se donner une seconde chance. J'ai voulu la revoir, elle a accepté et on ne s'est plus quittés depuis. J'ai emménagé dans son nouvel appartement au bout d'une semaine.
Après ça la question d'un enfant s'est assez vite posée. Elle ne voulait pas me priver de la joie d'être père mais était assez lucide pour savoir qu'elle ne pourrait peut-être pas me faire ce cadeau. Elle voulait me laisser le choix. Mais j'étais sincèrement prêt à faire le deuil de cette paternité si c'était la condition pour passer le reste de ma vie avec elle. Alors on a décidé de s'en remettre à la nature. Advienne que pourra.
Et puis le miracle.
Très vite finalement ; on a été surpris tous les deux. Pas étonnant que quand on l'a annoncé à mes parents ils soient tombés des nues. Je crois qu'ils ont d'abord cru que c'était un accident. En tout cas ils ont pensé que j'étais inconscient et bien trop jeune pour être père.
La grossesse a été pénible à vivre pour moi. D'un côté j'étais au comble du bonheur avec Clémentine, d'autant que tout se passait bien, et de l'autre je m'éloignais de ma mère qui trouvait à redire sur tout et reprochait à Clémentine de m'avoir mis dans cette situation qu'elle jugeait inappropriée. Elle ne semblait pas s'apercevoir que j'étais aux anges. Ou ne voulait pas le voir.
Et puis Clara est arrivée.
Elle a mis tout le monde d'accord. Ma mère a été conquise tout de suite. Et petit à petit, à force de voir comment Clémentine s'en occupait, l'aimait, et moi avec, elle a enfin compris.

Je n'en peux plus de cette attente. Je me lève. J'attrape la gigoteuse de Clara dans son lit et enfouis mon visage dedans. Son odeur me manque.
Clémentine se redresse aussi et se colle à moi, ses bras de nouveau autour de ma taille. Je ressens les vibrations d'un murmure dans mon dos :
— Maxime... Dis-moi qu'elle va bien.
Je ne peux pas.
— Bien sûr qu'elle va bien, personne ne peut faire de mal à notre bébé.
Ça sonne faux.
Elle se détache de moi et s'assoit dans le fauteuil à bascule remisé dans un coin de la chambre. Elle a passé des heures dans ce fauteuil les trois premiers mois, Clara pendue à son sein.
— Pourquoi tu souris ? me demande-t-elle.
— C'est te voir te balancer comme ça dans ce fauteuil. Je pensais à toutes les fois où tu t'y es installée pour l'allaiter.
— Pourtant tu te rappelles à la maternité comme elle rechignait à téter ? J'ai cru qu'on n'y arriverait jamais !
Je garde la gigoteuse et viens m'asseoir à ses pieds. Maintenant c'est elle qui sourit et ça me réchauffe le cœur. Elle passe sa main dans mes cheveux et nous replonge dans nos souvenirs.

Elle est interrompue par mon téléphone qui sonne de nouveau.
Ce n'est pas ma mère.

Son doudou était rose et blanc (Demain nous appartient - Clemax - NOUVELLE)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant