L'appel

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— Vous êtes là tous les deux ?
— Oui !
Je me suis levé avant de répondre à Martin et arpente la pièce de long en large. Trop de stress. Clémentine est debout aussi mais figée. Je suis sûr que Martin est un redoutable joueur de poker : je suis incapable de détecter au son de sa voix s'il a une bonne ou une mauvaise nouvelle à nous annoncer.
— Bon. Je vous confirme que Clara est avec Olivier Doucet. Il n'y a pas de doute, on a des images de vidéo-surveillance de la banque en face de la crèche sur lesquelles on l'identifie clairement. Il n'est pas chez lui et sa voiture non plus. C'est une bonne chose, s'il a pris son véhicule personnel on le retrouvera plus facilement. Maintenant il faut aller vite, j'ai besoin de votre accord pour demander le déclenchement du dispositif alerte enlèvement au procureur de la République.
— Oui, oui bien sûr.
Je dirais oui à n'importe quoi si ça me garantissait de revoir ma fille. J'emmagasine les consignes de Martin et je raccroche.
Je crois que je suis soulagé de la savoir avec Olivier. C'est mieux qu'un détraqué qui s'en serait pris à Clara au hasard.

N'est-ce pas ?

C'est le moment pour Clémentine de prévenir sa fille aînée. Jusqu'à présent elle a préféré l'épargner. Je crois aussi que comme moi elle voulait éviter d'être confrontée à la détresse de quelqu'un d'autre.
Je vois bien que c'est pénible pour elle. Je l'encourage en dessinant dans son dos de larges cercles que j'espère réconfortants.
Garance saute dans sa voiture, elle sera là dans moins d'une heure. C'est ce qu'elle dit. La connaissant on va la voir dans trente minutes max. Elle finit ses études à Montpellier, ce n'est pas loin, mais ça fait longtemps que je ne l'ai pas vue. Mes rapports avec Garance sont... compliqués. Disons que moins on se voit mieux on se porte.
On était dans la même classe quand je suis tombée amoureux de sa mère. Clémentine me résistait. Pas volontairement, mais elle était complétement perdue. Elle n'osait pas admettre la force de ce qu'elle ressentait, ni à moi ni à elle-même. Certes elle était mariée et j'étais son élève ; c'était plus compliqué pour elle que pour moi. Et tout ce temps Garance était là, les hormones en ébullition, à flirter à la moindre occasion. J'ai eu beaucoup de mal à gérer, je l'ai sûrement trop laissée faire. Peut-être que je lui dois des excuses. Toujours est-il qu'on ne s'est jamais vraiment compris et quand on s'est remis ensemble avec Clémentine elle l'a plutôt mal vécu. Doux euphémisme. Elle est devenue hystérique. Je ne lui pardonnerais jamais les horreurs qu'elle a crachées à la figure de Clémentine. Je me serais volontiers passé d'elle dans ma vie. Mais sa réaction a miné Clémentine. Alors j'ai fait un effort, parce que sinon j'aurais perdu la femme de ma vie. Ça n'a pas été simple et ça a pris du temps mais elles se sont réconciliées. Clémentine va la voir régulièrement à Montpellier ou Garance vient quand je ne suis pas là et c'est très bien comme ça.

Au début j'ai voulu allumer la télé pour voir si l'alerte enlèvement était bien diffusée.
Tous les quarts d'heure.
Tous les quarts d'heure la photo de ma fille s'affiche sur fond rouge à l'antenne de toutes les chaînes nationales accompagnée d'une alarme assourdissante. Avec une photo d'Olivier pas très avantageuse pour lui. Du genre photo d'identité officielle.
Dès le deuxième passage Clémentine me supplie d'éteindre. Nos téléphones n'arrêtent pas de sonner. Des proches plus ou moins proches qui veulent savoir comment on va. On ne répond même plus.

Au commissariat ce n'est pas mieux. Ils sont submergés d'appels. Ils sont obligés de vérifier un à un tous les témoignages de celles et ceux qui ont cru reconnaître Olivier. Fausses pistes, impasses, culs-de-sac. Désespoir.
J'attrape mes clés d'une main, celle de Clémentine de l'autre. Il faut qu'on soit sur place. J'ai besoin de sentir que ça avance, qu'il se passe des choses. Que ma fille n'est pas perdue à jamais.
Garance nous rejoint, mes parents sont déjà là. La garde rapprochée. Tout le monde parle, tout le monde a un avis, tout le monde veut savoir. J'en ai marre. Marre de cette journée, marre d'être au bord du gouffre, marre de ne pas me réveiller.

Soudain Martin lève le bras. Il réclame le silence et se concentre sur ce que lui dit son interlocuteur. Il ponctue son écoute par des « humm », « humm » que j'essaie de déchiffrer. Il est content de lui quand il raccroche.
— Et... euh... vous êtes sûr cette fois ? demande Clémentine. Je sais qu'elle supporterait mal un nouveau faux-espoir. Moi aussi.
Martin confirme ce qu'il vient de nous annoncer :
— Un garagiste a vu un homme et un bébé correspondant au signalement sur la route de Montélimar. Il n'a pas relevé la plaque mais le véhicule correspondrait.
Le con. C'est là que se trouve la maison de famille des Doucet, inoccupée depuis le décès des parents d'Olivier mais où les cousins se retrouvent pendant les vacances. Il serait assez stupide pour avoir emmené Clara dans un lieu connu de Clémentine ? Je croise les doigts. Mais ça reste maigre comme piste.
— Le bébé, précise Martin, le témoin a dit que son doudou était rose et blanc.

Branle-bas de combat. Martin assomme ses équipiers d'ordres incompréhensibles qu'ils s'empressent de suivre à la lettre. Il nous fait signe à Clémentine et moi de venir avec lui. Mes parents et Garance doivent rester là. Tant mieux.
On avale les kilomètres à une vitesse folle. Un policier nous briefe. Il nous explique quoi faire quand on sera sur place. Il nous met en garde aussi. C'est une situation délicate. Olivier n'a pas le profil d'un homme dangereux mais on ne sait jamais ce qui peut se passer dans sa tête.
Tu m'étonnes.
Le gars s'est levé ce matin en se disant « tiens, si j'allais kidnapper le bébé de mon ex-femme ». Evidemment qu'on reste inquiets. Je suis mort de trouille même. J'ai peur qu'il lui ait fait du mal. Peur que le garagiste se soit trompé. Peur aussi qu'elle m'en veuille de ne pas avoir su la protéger. Elle sait qu'on est censé veiller sur elle, non ?

Clémentine a donné l'adresse exacte de la maison et on y arrive en un temps record. La bâtisse est plongée dans le noir. Tous les volets sont fermés et il n'y a pas de voiture garée devant.
J'ai un mauvais pressentiment.
On est sommés de rester dans la voiture. Martin et son équipe font le tour mais je comprends vite à la façon dont ils baissent leur garde que Clara n'est pas ici. Retour à la case départ.
Où es-tu ma petite fille ?
Les plaintes émises par Clémentine à cet instant font écho à ma prière silencieuse.

On est presque de retour à Sète quand Martin donne l'ordre au chauffeur de faire demi-tour. Il est en ligne avec le commissariat. Après avoir raccroché il s'adresse à Clémentine :
— Il a contacté votre fille.
— Quoi ? Où sont-ils ?
— Il était incohérent. Il n'a pas pu lui dire mais on a borné son téléphone, on a un secteur assez précis. On va l'avoir, tenez-bon.
— Qu'est-ce qu'il a dit ?
— Apparemment il s'est rendu compte de ce qu'il a fait et n'assume plus. Il lui a demandé pardon et voulait qu'elle lui dise quoi faire. C'est classique dans ce genre de cas. Je ne connais pas ses motivations mais ce n'est pas par calcul qu'il a enlevé Clara. C'était probablement un accès de folie ; un appel à l'aide.

Il a perdu les pédales. Il est à bout. Il est désespéré. Quand les gens sont aux abois ils sont parfois prêts à tout pour que ça s'arrête, non ?
Personne ne pose la question mais tout le monde y pense.

Son doudou était rose et blanc (Demain nous appartient - Clemax - NOUVELLE)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant