Double Vie

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Quatre années étaient passées depuis cette dernière nuit. Julien s'était marié, toute sa famille et ses amis avaient assisté à l'événement. Toute la journée avait été fabuleuse, tout le monde était reparti plus qu'heureux. Mais pour Julien, cela avait été comme assister à ses propres funérailles, car les deux personnes qui comptaient le plus à ses yeux, n'étaient pas là avec lui. Il aurait été le plus heureux des hommes d'assister au mariage de sa meilleure amie, Margaux, accompagné par Baptiste et Azzeddine. Il aurait été euphorique, et lui-même, enfin.

Mais dans la réalité, il avait épousé sa meilleure amie, il avait abandonné ses deux amants avec un simple mot sur le piano, et il était allé vivre la vie que sa famille avait choisi pour lui. Oh bien sûr, il n'avait jamais opposé d'objection, et à vrai dire, personne ne lui avait dit de demander Margaux en mariage, mais il l'avait fait, parce qu'il savait que c'est ce qu'on attendait de lui.

Il était lâche, il le savait. Jamais il n'aurait pu en parler avec ses deux amants, jamais. Eux l'auraient convaincu de rester avec eux, d'assumer, de se battre pour ce qu'il est. Il n'en avait pas la force. Baptiste l'avait eu, et tout s'était bien passé. Azzeddine l'avait eu, ça avait été plus compliqué pour lui. Mais aucun d'entre eux n'avait jamais parlé de leur amour à trois. Julien ne se sentait pas prêt à assumer son homosexualité et cet amour, qui pourtant représentait tout pour lui, le rendait plus qu'heureux et l'aidait à avancer.

Azzeddine et Baptiste étaient toujours omniprésents dans son esprit. Parfois, il en avait honte. Il pensait à eux à n'importe quel moment de la journée, même les plus intime, où il était avec sa femme. Des moments qu'il aurait dû chérir plus que tout, mais il n'y arrivait pas. Contrairement à ses deux amants, il avait beaucoup de mal à accepter vraiment qui il était. Il n'avait pas été élevé ainsi. À y réfléchir, Azzeddine non plus, mais il n'arrivait tout simplement pas à accepter que ses...goûts soient naturels.

On lui avait appris que ce qui était naturel c'était un homme et une femme. Quand ses parents avaient vu Margaux pour la première fois, alors qu'ils n'étaient encore qu'au collège, ils avaient immédiatement parlé de mariage. Au fil des années, Julien avait bien compris que sa meilleure amie éprouvait pour lui des sentiments très profonds. Il s'était mis avec elle, tout en ayant des aventures d'un soir, qui paradoxalement lui apportait toujours plus de bonheur. Il avait eu une aventure, son premier amour, qui l'avait quitté, ne supportant pas sa double vie.

Puis, Baptiste et Azzeddine étaient arrivés. Ils s'étaient rencontrés dans un bar gay, alors que Julien suivait une formation, loin de Margaux, libre. Il les avait appréciés, il les avait aimés, sans oser mettre un mot sur ce qu'il ressentait vraiment. Il avait vu les deux séparément, et un jour, c'est ensemble qu'ils avaient terminé. Une si belle histoire, hors du temps, loin des regards haineux de sa ville natale. Loin du jugement des passants et du poids de la société. Dans l'intimité de leur appartement, ils pouvaient s'aimer sans crainte, sans masque.

Et si tout s'était su ? Si ses parents avaient appris toute l'histoire ? Auraient-ils fait comme beaucoup le font aux États-Unis ? L'auraient-ils envoyé se faire exorciser ? Aurait-il dû suivre un traitement pour se guérir de ce mal ? Il frissonnait de terreur dès qu'il y pensait, et à présent, il n'avait plus les bras rassurant de ses deux amants pour calmer ses peurs. Rien ne le calmait, ou peut-être que si...

- Papa ! appela une voix enfantine.

Enfin sorti de ses pensées moroses, Julien se dirigea avec hâte vers le salon de sa maison pour prendre sa fille dans ses bras. Il la blottit fort contre lui et elle n'eut rien à redire, s'accrochant fermement au cou de son père. Julien fermait les yeux, savourait la présence de son enfant. Il avait beaucoup de mal depuis qu'elle avait commencé à aller à l'école. Julien aurait voulu la garder auprès de lui jusqu'à ses 6 ans, mais il savait bien que ce n'était pas raisonnable. Il n'avait pas le droit de faire porter à sa fille le poids de sa souffrance. Il respira l'odeur de son shampoing fraise tagada dont elle raffolait — une des seules façons de lui laver les cheveux — embrassa à plusieurs reprises sa tempe, sa joue, il ne voulait pas mettre fin à cette étreinte.

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