Les étudiants ne devaient pas être sages. Ce sont des enfants, oui, des gamins. Ils n'ont que quelques minutes de vie ; ils sont encore sous le même nuage ; ils sont des enfants et le resteront longtemps ; ils se donnent déjà pour toujours pourtant.
Les étudiants, néanmoins, ne devaient pas être sages. Ils ne l'étaient pas. Tous un peu dans leur coin ; individuels et si peu singuliers ; à un blabla d'un côté, un coquinage dans un autre ; à blabla à blabla ; ils savaient faire du bruit s'en est sûr, et à l'unisson, sans concertation.La professeure, ouvrant la porte, se tournant vers cette garnison en discorde les fit se mettre jusqu'au « garde à vous » en sa seule présence, et son regard, quant à lui, absorba leurs paroles.
"Je présume que l'on peut commencer ? Je vous entend jusqu'à la machine à café !" Dit-elle sur un ton ironique, car l'établissement n'avait pas assez de budget pour se doter de ces machines à cafés performantes et rapides qui savent servir ces professeurs qui sont harassés par ces élèves et qui boivent ces cafés comme pour tenir face à cette fatigue et face à ces supplices qui nécessitent une folie douce ou une patience boursière ; la seule dose de café aux environs, si ce n'est dans son sang et son haleine, était dans son thermos qu'elle tenait alors dans sa main, qu'elle tendait comme une épée qui allait s'abattre sur les étudiants. Ils se mirent à rire, la professeure fit de même en lâchant sa position de « générale » et tout en posant son thermos et son paquet de copies - qu'elle avait sous le bras gauche - sur son bureau qui était à deux pas de la porte, comme un poste de garde.
Après avoir fait le comptage du nombre d'élèves, de s'être calmés et de s'être assis, ils débutèrent le cours de théâtre.
La professeure commença en demandant aux élèves comment ils allaient - ils allaient forcément bien car ils ont la vie devant eux, c'est simplement qu'elle était humaine - et elle continua en distribuant les copies qu'elle avait ramené de sous son bras jusque sur son bureau aux élèves qui s'étaient assis en rond dans la salle.
Les copies traitaient d'un script de théâtre qui devait être, à l'aboutissement de leur travail, leur spectacle de fin d'année. Ils étaient donc tous pressés "d'attaquer".Suite à différents exercices d'ouverture du corps et de la voix et de prise en charge de l'espace et de connexion entre tout le monde, le cours se mit réellement en route. Ils se mirent à "débrouiller" le feuillet en le lisant et se partageant les répliques à tour de volontaires. Cela donnait une idées, du texte son sujet et son décors, mais surtout, donnait les prémices des rôles que pourraient jouer les élèves. Des questions les traversaient : avec un accent congolais ou non ? Faudrait-il que je sorte du public si je déclare cette réplique ? Peut-être que je devrai le faire à sa place, il n'est vraiment pas doué ?
Deux heures quatorze plus tard, la sonnerie sonna et sonna la sonnerie. Les élèves rassemblèrent leurs affaires qui étaient restées dans la salle d'à côté. Certains pouvaient être si rapides, qu'aucuns de leurs camarades ne les eût vu passer. Mais ce qui est certain est que d'autres étaient si longs qu'ils sortaient les derniers, un bonsoir à la professeure, puis ils sortaient, en parlant et rigolant enfin, avant de partir vers le bus raté.
D'un pas, elle se retrouva dehors. Devant cette ancienne bâtisse qui fût un couvent à une époque mal dessinée. Le nez vers la route et le commerce d'en face. Elle se tourna donc à sa gauche, pris le passage piéton afin de rejoindre l'autre rive et marcha jusqu'à sa voiture garée en contrebas un peu plus loin.
D'un coup, elle s'arrêta net sur le trottoir un peu avant sa voiture.
Elle avait un visage pâle, des yeux livides, des cernes qui elles-mêmes étaient fatiguées, et quelques rides profondes et d'expression ; elle était morte de fatigue, enfouie dans son travail, et elle, après sa journée de travail, allait rentrer chez elle, retrouver son mari et ses trois enfants, et allait surtout devoir s'occuper d'eux tous comme si elle était le radeau de la méduse à elle seule ; elle en avait marre de ce qu'elle avait comme vie ; elle n'était pas épanouie ; elle comprit les sévices du temps auquel elle s'était abandonné lorsqu'elle tomba nez à nez avec lui.
Et elle tomba en arrière, raide, de son mètre quatre-vingt cinq.
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Monsieur Cédric
FanfictionCédric est acteur de théâtre. Au fil des années de métier, il a acquis une certaine expérience qu'il souhaite désormais retransmettre à des amateurs en théâtre, des étudiants, ou même des jeunes. Animant des leçons survoltées de son rire aimable et...